Photo de couverture : Silhouette de personnes par Keith Wako
Le Malawi est coincé. Classé parmi les cinq pays les plus pauvres au moment de son accession à l’indépendance, il occupait en 2021 l’avant-dernière place du classement mondial. Ses statistiques essentielles sont à l’image d’une mauvaise journée .
Son revenu par habitant est de 390 dollars, soit un quart de la moyenne subsaharienne, elle-même sept fois inférieure à la moyenne mondiale. Les Malawiens étaient très pauvres au moment de l’indépendance en 1964, leur revenu moyen ne représentant que 5 % de la moyenne mondiale ; aujourd’hui, ils ont encore régressé de manière inimaginable pour atteindre le chiffre dérisoire de 3,5 %. En d’autres termes, les Malawiens sont près de 30 fois plus pauvres que le citoyen mondial moyen, des statistiques étonnantes si l’on considère ses avantages en matière de développement (un lac qui couvre un quart de sa superficie totale et de riches terres agricoles) et si l’on tient compte de la compréhension qu’on a aujourd’hui des choix, des défis et des options en matière de développement.
Au lendemain de l’indépendance, les schémas de croissance du Malawi suivaient initialement ceux de l’Afrique subsaharienne, avec un taux de croissance de 3,7 % par an. Depuis 1980, cependant, le pays a commencé à perdre du terrain par rapport au reste du continent, dont les performances n’étaient alors guère brillantes. Le PIB réel par habitant du Malawi n’a augmenté en moyenne que de 1,5 %, par exemple, entre 1995 et 2015, ce qui est bien inférieur à la moyenne de 2,7 % des économies africaines ne disposant pas de ressources abondantes.
Il est rare de voir des pays aussi pauvres ne pas être le théâtre de conflits armés. Le Malawi a au moins cet avantage. Et le comble c’est que le Malawi est resté vulnérable aux crises financières épisodiques, caractérisées par des problèmes de balance de paiements, d’indisponibilité des devises, de hausse de l’inflation, de niveaux d’endettement élevés et d’effondrement des taux de croissance. Pourquoi le Malawi est-il si pauvre et pourquoi cette tendance récurrente à la crise et à la régression constante ?
Cette situation résulte évidemment de nombreux facteurs. De nombreux Malawiens évoquent les effets conjugués d’un héritage colonial médiocre, de l’enclavement, de la pauvreté et de termes défavorables des échanges. D’autres préfèrent pointer du doigt le régime sévère de Kamuzu (Hastings) Banda, l’autoritaire formé en Écosse qui a dirigé le pays d’une main de fer jusqu’à l’avènement du multipartisme en 1994 - bien que les Malawiens soient divisés dans leur loyauté à l’égard de l’héritage d’un homme qui qualifiait son propre peuple « d’enfants en politique ».
Même si les choses ont commencé à s’effondrer sous le règne de Banda, en particulier à la fin des années 1980, ce qui a forcé l’intervention de la Banque mondiale et l’imposition d’une série de réformes favorables au marché, et en dépit d’une faible croissance, il était craint et, de ce fait, il reste vénéré.
La politique de l’homme fort prônée par Banda met en évidence un élément constant des six dernières décennies : les mauvais choix des dirigeants et le caractère corrosif de la gouvernance. Ce n’est pas que le Malawi manque de gouvernance, mais plutôt que l’objectif du gouvernement consiste à enrichir une élite aux dépens des plus démunis. Cela revient à préférer un pacte politique entre les élites pour extraire des rentes - même au point de provoquer une macro-instabilité. Si l’on suit la logique de cet argument, il n’y a pas de consensus pour que tous aient accès à une part du gâteau. Au lieu de cela, le gâteau est partagé entre une poignée d’individus. En témoignent la résistance à la mise en place d’un réseau ferroviaire digne de ce nom (dans l’intérêt d’une mafia des transports), la résistance à la réforme agraire (qui maintient la population dans la pauvreté et protège les intérêts de l’élite), la résistance à la réforme des subventions aux engrais (pour ceux qui les vendent et les distribuent) et l’éventail d’intermédiaires de l’État dans presque tous les domaines de l’économie, des maisons de vente aux enchères de tabac aux agents d’achat de maïs.
Dans chacun de ces domaines, il y a des rentes à protéger et des circonscriptions à maintenir. Cet argument est utilisé pour expliquer pourquoi le gouvernement a conservé le style d’intervention intermédiaire de l’État dans l’économie alors que, même à la fin des années 1980 supposées relativement prospères, il s’était avéré difficile à gérer, au point que le gouvernement avait dû demander l’aide de la Banque mondiale. Il explique également pourquoi le Malawi continue à mettre en place des programmes de subvention des intrants agricoles et à ignorer les opportunités du marché régional, et pourquoi la fonction publique est relativement importante (180 000 personnes), mais moins dictée par les performances que par la loyauté et une culture pernicieuse « d’allocations journalières » pour augmenter les bas salaires.
La plus grande réussite des dix années de gouvernance de Bakili Muluzi a été la transition vers la démocratie en 1994. Son mandat, entaché d’allégations de corruption et d’une pénurie de maïs, pourrait au mieux être décrit comme une version plus douce et plus agréable des trois décennies de règne sévère de Banda, mais aussi comme une absence de gouvernance et de probité. Le successeur que Muluzi avait soigneusement choisi, Bingu wa Mutharika (né Brightson Webster Ryson Thom), avait peut-être l’air d’un réformateur et de quelqu’un qui comprenait, du moins sur le papier, les lois de l’économie, étant donné les années qu’il avait passées au poste de secrétaire général du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), mais il s’est révélé être un Président erratique. Ses tentatives d’accroître la sécurité alimentaire et la production de maïs au Malawi en subventionnant les intrants ont abouti à une augmentation massive de la production, mais ont également alimenté la corruption et détourné des fonds d’autres domaines. Les manifestations nationales de 2011, déclenchées par l’aggravation de la pénurie de carburant, la hausse des prix, le gaspillage du gouvernement (notamment l’achat d’un avion présidentiel) et le taux de chômage élevé, ont donné lieu à une répression violente, Mutharika ayant déclaré qu’il allait « enfumer » ses ennemis. Cette répression n’a fait qu’aggraver la pénurie de devises et de carburant à mesure que les bailleurs de fonds bloquaient leurs fonds. Après la mort de Mutharika des suites d’une crise cardiaque, un coup d’État de palais, mené par son frère Peter Mutharika pour tenter d’écarter Joyce Banda, la Vice-Présidente de Binu, a échoué et cette dernière est devenue Présidente en avril 2012. Les premières réformes impressionnantes visant à stabiliser la monnaie, à normaliser les relations internationales et à réduire les dépenses excessives ont été rattrapées par le scandale de corruption du gouvernement « Cashgate », et elle a facilement perdu les élections présidentielles de 2014 face à Peter Mutharika. À l’instar de ses prédécesseurs, le mandat de Mutharika a été marqué par le mécontentement populaire, avec des pénuries de nourriture et d’électricité et des allégations de corruption. Sa victoire aux élections de mai 2019 a été largement contestée, les résultats ayant été largement falsifiés, ce qui lui a valu le surnom « d’élection Tipp-Ex ». Suite à la requête du Malawi Congress Party (Parti du Congrès du Malawi ou MCP) et du United Transformation Movement (Mouvement uni de transformation ou UTM) auprès de la Haute Cour pour faire annuler les résultats et organiser une nouvelle élection, la Cour constitutionnelle du Malawi a décidé d’annuler l’élection, ordonnant la tenue d’une nouvelle élection dans les 150 jours. Mutharika n’a obtenu que 40 % des voix et a été battu par Lazarus Chakwera du MCP. Cependant, le mandat de Chakwera a mis du temps à se mettre en place, les réformes clés nécessaires n’ayant guère progressé et les scandales de corruption s’étant multipliés.
Comment briser ce cycle répétitif de « promesses hâtives suivies de corruption et de déceptions amères » pour que le Malawi progresse de manière à aider le nombre croissant de sa population à sortir de la pauvreté ? Les instances étrangères peuvent-elles aider ?
Il existe ici plusieurs courants de pensée, répartis sur un spectre d’optimisme. La première consiste à dire que cela ne pourra jamais se produire et que les bailleurs de fonds, entre autres, ne font qu’aggraver le problème. La preuve en est que les 26 milliards de dollars dépensés par les bailleurs de fonds depuis 1964 n’ont pas réussi à changer le système de gouvernance et la pauvreté cyclique et verrouillée (faibles revenus, finances publiques fragiles, éducation et santé médiocres, infrastructures limitées, faibles investissements et faible croissance). Au contraire, il a encouragé la recherche de rentes et découragé les réformes en fournissant un filet de sécurité. Bien que les bailleurs de fonds s’y opposent - en partie parce que les dindes votent rarement pour Noël et parce que l’interruption de l’aide suscite des préoccupations humanitaires valables - les faits montrent que, dans le meilleur des cas, les dépenses consenties par les bailleurs de fonds ont fait en sorte que les conséquences soient « moins mauvaises ».
Une autre variante de l’argument relatif à « l’aide au développement » consiste à dire qu’il faut plus d’argent de la part des bailleurs de fonds - que le milliard de dollars actuellement versé chaque année au Malawi est insuffisant pour faire la différence et n’est qu’un pansement de fortune pour une plaie trop profonde en termes de développement. Les dangers de cette approche peuvent être observés dans l’échec monumental des projets conçus pour étayer cet argument, parmi lesquels le projet Villages du Millénaire de Jeffrey Sachs, qui a été mis en œuvre sur deux sites au Malawi mais qui n’a pas abouti.
La troisième est que le changement est possible, et qu’il faut chercher les pousses vertes chez les Malawiens eux-mêmes, dans le système judiciaire (qui a tenu tête au régime du Président Peter Mutharika lors des nouvelles élections), dans les ONG et dans le secteur privé.
Dans de nombreux autres domaines, les efforts de réforme menés de l’extérieur ont incité les acteurs à définir la forme - mais pas la fonction - des institutions, tout en sapant la voix des réformateurs nationaux. La pression extérieure a engendré une réaction « newtonienne » de la part des réformateurs nationaux, qui ont pris la direction opposée, une tendance alimentée par des instincts populistes et des solutions faciles. Mal gérée, une pression trop forte peut couper le dialogue et perturber les relations - et sans messager de confiance, il ne peut y avoir de message.
Partir de peu, renforcer les voix locales là où le changement est nécessaire et persévérer sur une longue période peuvent permettre de changer les situations les plus désespérées et à première vue les plus impossibles. Si les étrangers peuvent y arriver et éviter d’amplifier leur propre voix pour faire avancer leur propre carrière et leurs propres intérêts, il sera possible de susciter une plus grande confiance et d’accomplir des progrès.
Au Malawi, cette démarche demande un leadership capable non seulement d’identifier les problèmes, mais aussi d’établir des priorités et de mettre en œuvre des solutions, d’éviter des choix économiques qui vont à l’encontre du but recherché (même s’ils sont populistes) (comme la loi sur la réforme agraire, qui prive les étrangers de l’accès aux terres, ou l’interdiction de l’exportation du maïs), et d’être prêt à lâcher prise - ou du moins à partager les bienfaits du changement.