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Guide stratégique
à l’inten­tion des démo­crates africains

par La Fondation Brenthurst · À propos des auteurs

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Avant-propos

Bobi Wine

Robert Kyagulanyi (Bobi Wine)

Trucage électoral et outils dont dispose le régime autoritaire

Les élections générales qui ont eu lieu en Ouganda en 2021 montrent à quel point les dirigeants autoritaires ne reculent devant rien pour conserver le pouvoir. Pour le général Yoweri Museveni, le dirigeant âgé de 79 ans, arrivé au pouvoir en Ouganda après le renversement d’Idi Amin, le désir de s’accrocher au pouvoir est aussi grand, sinon plus grand, que l’ambition qu’il nourrissait de l’exercer pour la première fois il y a de cela plusieurs dizaines d’années. Il dispose d’une panoplie de tactiques grossières mais efficaces pour assurer son maintien au pouvoir en tant que commandant en chef du pays. L’une de ces principales tactiques consiste au trucage électoral.

Carte montrant les résultats de l'élection présidentielle ougandaise de 2021

Graphique original : Kingofthedead, Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

Le dernier exemple en date de l’utilisation de cette tactique remonte aux élections générales de 2021 en Ouganda, que moi-même et dix autres candidats avons contestées et au cours desquelles toute une série de mesures manifestes et secrètes ont été utilisées pour truquer l’élection en faveur du Président Museveni.

Des séquences vidéo partagées avec des ONG, des journalistes et sur les plateformes de médias sociaux décrivent en détail ces incidents. À Kisoro, dans la partie ouest de l’Ouganda, on peut voir un policier dans un bureau de vote en train de bourrer une urne de bulletins de vote sous le regard d’un membre du personnel électoral. Dans une autre vidéo, des bulletins de vote sur lesquels mon nom a été coché, sont abandonnés dans un bureau de vote au lieu d’être déposés dans les urnes. Pendant ce temps, à Bulambuli, un homme vêtu d’une chemise jaune vif (les couleurs de la campagne électorale de Museveni) a été aperçu en train de cocher de multiples bulletins de vote en faveur du Président Museveni. Des actes flagrants de ce type ont été commis un peu partout en Ouganda, souvent avec l’aide du personnel électoral et chargé de la sécurité.

Les manifestations de Bobi Wine : le nombre de morts augmente dans les pires troubles que l'Ouganda ait connus depuis des années

Un partisan du musicien ougandais devenu politicien Robert Kyagulanyi, également connu sous le nom de Bobi Wine, porte son affiche alors qu'il proteste dans la rue contre l'arrestation de Kyagulanyi lors de son rassemblement présidentiel à Kampala, en Ouganda, le 18 novembre 2020. Photo : BADRU KATUMBA/AFP via Getty Images

La phase de dépouillement a également été le théâtre de malversations. Suite à une confrontation avec le Daily Monitor, un journal ougandais, la Commission électorale a reconnu que les votes de plus de 1200 bureaux de vote n’avaient pas été dépouillés. Les bureaux en question étaient situés dans des zones urbaines, telles que Kampala, où j’avais obtenu des résultats favorables, avec plus de 75 % des voix. Au nombre des irrégularités de dépouillement relevées figuraient également les cas de votes de personnes décédées.

Bobi Wine salue ses partisans alors qu'il se lance sur son parcours de campagne vers l'est de l'Ouganda

Bobi Wine salue ses partisans alors qu'il se lance sur sa campagne en direction de l'est de l'Ouganda le 1er décembre 2020. Photo : SUMY SADURNI/AFP via Getty Images

La triste réalité est que le trucage électoral n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste d’outils dont dispose le régime autoritaire, un fait que mes partisans, ma famille et moi-même avons fini par découvrir.

Les jours qui ont précédé l’élection, mes partisans ont fait l’objet de brutalités répétées de la part des forces de l’ordre. Leur crime : avoir exprimé leur soutien à mon égard et brandi des pancartes de l’opposition. Le lendemain des élections de 2021, ma femme et moi avons été assignés à résidence pendant onze jours, au cours desquels notre propriété a été encerclée par la police et l’armée. Les membres de ma famille, mes amis et même l’ambassadeur des États-Unis se sont vu refuser l’accès à mon domicile. Je n’ai été autorisé à consulter mon avocat qu’une seule fois tout au long de ce calvaire. Ce sont là les outils dont dispose l’autoritarisme.

Bobi Wine avec sa famille, à la maison

Bobi Wine assigné à résidence, photographié avec sa famille. Source : X/@HEBobiWine

Pour des dirigeants de la trempe de Museveni, le désir de conserver le pouvoir dicte chacune de leurs actions. Les outils dont ils disposent, notamment le trucage électoral, sont non seulement efficaces, mais aussi transférables ; ils continueront de passer de mains en mains d’un dirigeant autoritaire à un autre. Voilà le combat que nous menons en Ouganda, combat pour lequel nous ne nous avouerons pas vaincus.

Introduction

Contrer la montée de l’autoritarisme

La politique contemporaine se caractérise dans le monde entier par une lutte perpétuelle entre l’autocratie et la démocratie. D’un côté, il y a les campagnes démocratiques héroïques, comme l’illustrent les « révolutions de couleur », qui représentent aujourd’hui à peine 20 % des huit milliards de citoyens du monde, et de l’autre, les régimes autoritaires avec à leur tête la Russie, l’Iran et la Chine. Cette lutte ne se limite pas simplement à la question des libertés et du type de société où les peuples préféreraient vivre, elle a aussi d’autres conséquences pratiques. Une démocratie libre, ouverte et responsable est une condition préalable à l’amélioration des conditions de vie des peuples, et un levier pour la croissance économique inclusive, l’emploi, la santé, l’éducation et la sécurité.

Pourtant, il y a tout juste 20 ans, l’autocratie semblait être en déclin. Les autocrates ne pouvaient plus recourir facilement à des méthodes violentes et à des armes contondantes pour garder les peuples sous leur coupe, comme l’avait fait Staline lorsqu’il a envoyé quelque dix millions de ses compatriotes périr au goulag des suites d’exécutions et de famines provoquées, ou comme l’avait fait Mao avec son « Grand bond en avant » et sa « Révolution culturelle » qui ont coûté la vie à près de 35 millions de personnes. Le grand glissement vers la démocratie a commencé avec le coup d’État au Portugal, le 25 avril 1974, qui, comme le dira Samuel Huntington, va libérer des forces politiques et lancer une vague de démocratisation mondiale, qu’il a appelé la « troisième vague ». 1 Les dictatures de droite ont pris fin en Europe au lendemain des événements de Lisbonne, avec l’effondrement de la Metapolitefsi en Grèce, la mort de Francisco Franco en Espagne, et la succession de juntes en Amérique latine. Puis vint l’effondrement des gouvernements du bloc de l’Est en Europe de l’Est après 1989. 

Le monde semblait être engagé sur la voie de la démocratie. La fin de la Guerre froide marque l’essor des démocraties et de l’industrie artisanale qui l’accompagne. Le nombre de pays classés « libres » par Freedom House est passé de 56 sur 165 en 1987 à un record de 81 sur 191 nations,2 soit le nombre le plus élevé jamais enregistré au cours des 25 années d’existence de l’enquête annuelle sur la démocratie. 

Chronologie montrant le nombre de pays classés comme libres : 56/165 en 1987 contre 81/191 en 2023

De nombreux régimes répressifs ont perdu leur principal allié avec la chute de l'Union soviétique et ont rapidement (et le plus souvent dans un climat pacifique) cédé aux aspirations de leurs peuples à une plus grande ouverture. L'avènement des médias sociaux a fait que, pendant un certain temps, le coût de la tyrannie n'a jamais été aussi élevé, note William Dobson dans The Dictator's Learning Curve.3 Mais les autocrates ont rapidement appris à s'adapter.

Pas libre · Partiellement libre · Libre

Carte illustrant le statut de la liberté dans le monde. Freedom House attribue une cote de liberté et un statut à 210 pays et territoires. Source : freedomhouse.org

Comme l’indique Freedom House dans son rapport pour l’année 2021, la période « a marqué la 15e année consécutive de recul de la liberté dans le monde. Les pays dont la situation s’est détériorée ont été plus nombreux que ceux dont la situation s’est améliorée, et ce, avec la plus grande marge enregistrée depuis que cette tendance négative s’est amorcée en 2006. La longue récession démocratique s’aggrave ».4

Le rapport poursuit en signalant que :


Près de 75 % de la population mondiale vit dans un pays dont la situation s’est détériorée au cours de l’année qui a précédé.

[P]rès de 75 % de la population mondiale vit dans un pays dont la situation s’est détériorée au cours de l’année qui a précédé. Ce recul continu a suscité l’idée d’une infériorité intrinsèque de la démocratie. Au nombre des tenants de cette idée figurent des chroniqueurs officiels chinois et russes désireux d’accroître leur influence internationale tout en se soustrayant à l’obligation de rendre des comptes pour les abus commis, ainsi que des acteurs antidémocratiques au sein d’États démocratiques qui y voient la possibilité d’asseoir leur pouvoir. Ces derniers applaudissent la rupture de la démocratie et contribuent à l’exacerber, s’opposant aux groupes et aux individus courageux qui ont entrepris de remédier aux dommages occasionnés.


La démocratie a depuis lors poursuivi sa trajectoire descendante. À l’aube de 2024, Freedom House a résumé son bilan annuel : « En 2023, la liberté dans le monde a reculé pour la 18e année consécutive. L’ampleur et la profondeur de cette détérioration ont été considérables. Les droits politiques et les libertés civiles ont été réduits dans 52 pays, tandis que seuls 21 pays ont enregistré des améliorations. Des élections entachées d’irrégularités et des conflits armés ont contribué à ce recul, mettant en péril la liberté et infligeant d’indicibles souffrances humaines ». 5 Bien que le nombre d’élections n’ait jamais été aussi élevé, nombre d’entre elles se déroulent dans l’absence d’une contestation ouverte et libre, et d’un dépouillement transparent. Les mouvements de libération d’antan ne tiennent souvent pas leur promesse de remplacer les systèmes oppressifs par des démocraties prospères, au contraire, ils contribuent activement au naufrage de la démocratie, en manipulant les résultats des élections pour rester au pouvoir et s’emparer de l’État grâce à l’instrumentalisation des médias, aux fausses informations, à la propagande générée par l’intelligence artificielle et à d’autres interventions technologiques dans le processus de vote et de dépouillement. La notion de « Sud global » est utilisée à mauvais escient par les autocrates pour suggérer que les Africains et les autres habitants des pays moins développés ne soutiennent pas la démocratie, alors que des études crédibles montrent clairement que la majorité se prononce en faveur d’élections libres et de la démocratie, et qu’il existe des corrélations évidentes entre les performances en matière de développement et la qualité de la démocratie.

Quand bien même le rôle que jouent les autocrates en se soutenant mutuellement se révèle néfaste, les démocrates ne peuvent guère s’attendre à une aide de l’extérieur.

Quand bien même le rôle que jouent les autocrates en se soutenant mutuellement se révèle néfaste, les démocrates ne peuvent guère s’attendre à une aide de l’extérieur. Ainsi, les atteintes à la démocratie, que ce soit en Ukraine ou au Venezuela, au Soudan ou au Myanmar, ont un coût pour les démocrates du monde entier. Souvenons-nous des paroles sages de Justice Johann Kriegler : « Seul un insensé truque une élection le jour des élections ». Il est désormais plus important que jamais, depuis la fin de la guerre froide, de rester vigilant et de mettre en place des méthodes de collaboration entre les démocrates, pendant et entre les élections.

L'année des élections

L’année 2024 avait été décrite comme « l’année des élections » et comme « l’année électorale ultime ». Mais cela ne signifiait pas qu’elle serait l’année de la démocratie. Au contraire, elle pourrait bien s’avérer être l’année de l’autoritaire.

En 2024, la moitié de la population mondiale en âge de voter s’est rendue aux urnes dans 64 pays (et à travers l’Union européenne), un record dans l’histoire. Les résultats de bon nombre de ces élections pourraient s’avérer significatifs pour les années à venir.

En 2024, huit des dix nations les plus peuplées du monde - Bangladesh, Brésil, Inde, États-Unis, Indonésie, Pakistan, Russie, Mexique - ont voté. L’élection de Taïwan en janvier 2024, par exemple, qui a abouti à une nouvelle victoire du Parti démocrate progressiste, est susceptible d’influencer l’approche de la Chine envers l’île, augmentant possiblement le niveau de menace militaire, étant donné la ligne plus autonome du PDP vis-à-vis de Pékin. Le Pakistan et l’Indonésie, les deux nations musulmanes les plus peuplées au monde, ont déjà organisé leurs élections, chacun de ces processus ayant façonné leurs politiques en matière d’inclusion ou d’extraction. L’Iran suivra plus tard en 2024.

Nahendri Modi

Le Premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, lors d'une réunion informelle des chefs d'État et de gouvernement des pays BRICS. Source: Wikimedia/Le Kremlin (CC BY 4.0)

Les élections qui se dérouleront en Inde entre avril et mai 2024 ont battu tous les records du monde. Plus de 900 millions de personnes sur les 1,4 milliard d’habitants que compte l’Inde se sont inscrites pour voter. Le Premier ministre actuel, Narendra Modi, espère être réélu pour un troisième mandat de cinq ans.

Plus de 900 millions d'électeurs inscrits parmi les 1,4 milliard d'habitants de l'Inde

Le Venezuela fait également partie des pays qui organisent des élections, lesquelles pourraient bien se révéler controversées et consolider le régime autoritaire en place. En janvier, la Cour suprême du Venezuela a ratifié l’interdiction visant la dirigeante de l’opposition María Machado d’exercer toute fonction publique pour une durée de quinze ans. Cette information a ensuite été confirmée par l’Autorité électorale du pays, ce qui signifie que son nom ne figurera pas sur le bulletin de vote. Sa rhétorique révolutionnaire et ses bérets rouges font du Venezuela un pays admiré par de nombreux populistes en Afrique du Sud, parmi lesquels l’African National Congress (le Congrès national africain ou ANC) et les Economic Freedom Fighters (les Combattants pour la liberté économique ou EFF).

À la mort d’Hugo Chávez en 2013, Julius Malema s’est exprimé en ces termes :

“Je me joins à des millions de progressistes … pour adresser mes sincères condoléances au peuple vénézuélien qui a perdu en la personne du Président Hugo Chávez un leader intrépide, politiquement déterminé et idéologiquement inébranlable.”7 La mort de l’homme fort vénézuélien, des suites d’un cancer, a mis fin à ses quatorze années de règne, mais pas à son mouvement bolivarien, qui dix ans plus tard est toujours aux commandes. “Malgré la résistance massive de fantoches à la solde du régime impérialiste, [Chávez] a réussi à faire entrer le Venezuela dans une ère où les richesses du pays, en particulier le pétrole, ont été restituées à l’ensemble du peuple” — Julius Malema

La Young Communist League of South Africa (la Ligue des jeunes communistes d’Afrique du Sud), une branche de l’alliance dirigée par le parti au pouvoir, l’ANC, a déclaré : “Le camarade Chávez a été une source d’inspiration pour toutes les forces progressistes du monde entier (…). Sa défiance à l’égard de l’impérialisme et son insistance pour que les immenses gisements de pétrole du Venezuela bénéficient aux masses ont transformé la vie de millions de personnes.”8 En 2024, plus d’un quart de la population vénézuélienne avait fui le pays, faisant de celui-ci à la fois le plus grand gisement de pétrole et la plus grande source de réfugiés au monde.

Certaines élections seront beaucoup plus importantes que d’autres, notamment la course à l’élection présidentielle américaine, élection incontournable que l’on fait mine d’ignorer. Malgré tous les pronostics prévoyant l’impossibilité pour l’ancien Président Donald Trump de se présenter, ou de fuir la prison, il est en ce moment bien placé, semble-t-il, pour obtenir un second mandat, preuve entre autres de l’ampleur des divisions sociales aux États-Unis et des opinions à la fois internes et externes solidement ancrées sur le ‘système’.

Donald Trump prononçant un discours lors de la Conférence sur l'action proactive 2023 en Floride

Donald Trump prenant la parole lors de la Turning Point Action Conference de 2023 en Floride. Photo : Flickr/Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)

Bon nombre de ces élections ne seront pas libres, mais constitueront plutôt un moyen de légitimer le parti au pouvoir et/ou de satisfaire les bailleurs de fonds et autres partenaires. 

En Afrique, des élections sont attendues – ou ont été programmées – en Mauritanie, au Mali, à Maurice, au Botswana, au Tchad, au Soudan du Sud, au Rwanda, au Mozambique, au Ghana, en Algérie, au Togo, en Namibie, en Guinée-Bissau, aux Comores, en Tunisie, au Sénégal, au Somaliland, à Madagascar et, bien sûr, le 29 mai en Afrique du Sud. Parmi ces pays, cinq sont classés dans la catégorie « non libre », telle que définie par Freedom House, neuf dans la catégorie « partiellement libre » et cinq autres dans la catégorie « libre » : il s’agit du Ghana, du Botswana, de Maurice, de la Namibie et de l’Afrique du Sud. 

74 % des élections de 2024 en Afrique se tiendraient dans des pays considérés comme partiellement libres ou non libres.

L'élection malienne avait déjà été reportée à une date indéterminée, tandis que l'élection au Sénégal a été retardée en raison de l'ingérence politique du Président qui tergiversait en raison d'une victoire probable de l'opposition. 

L'Afrique est loin d'être la seule affectée dans sa gestion de la montée de l'autoritarisme. Le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a remporté un quatrième mandat consécutif en janvier 2024, bien que l'élection ait été boycottée par le principal parti d'opposition du pays en signe de protestation contre la répression de l'opposition politique.

Sheikh Hasina, Premier ministre honorable du Bangladesh

Sheikh Hasina, Premier ministre du Bangladesh. Source : Flickr/Russel Watkins, DFID (CC BY 2.0)

De même, au Pakistan, bien que son parti ait été interdit et qu’il ait été emprisonné pour des motifs que ses partisans considèrent comme fallacieux, l’ancien Premier ministre Imran Khan a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections de février 2024, mais pas suffisamment pour obtenir une majorité absolue. La « réélection » de Vladimir Poutine en mars entre également dans cette catégorie, surtout après l’assassinat en prison, le mois précédent, d’Alexei Navalny, son détracteur numéro 1 sur la scène nationale. 

59 % des 64 élections prévues dans le monde en 2024 se tiendront dans des pays considérés comme partiellement libres ou non libres

Des 64 élections prévues dans le monde en 2024, Freedom House indique que 38 soit 59 % se tiendraient dans des pays considérés comme « non libres » ou « partiellement libres ». Bien entendu, ces élections présentent des subtilités, notamment en ce qui concerne le taux de participation réel, indicateur du soutien d’un homme fort (ou d’une femme forte), et la nature du régime au pouvoir. Essayer de catalyser un processus démocratique et de garantir un résultat équitable dans un pays sous régime militaire est une chose, le faire dans un régime aux tendances autoritaires en est une autre. 

Démocraties autoritaires

« Pour mes amis, tout, pour mes ennemis, la loi », clamait le général péruvien Óscar Benavides. Le général a exercé deux mandats présidentiels au Pérou, le second (1933–1939) pendant une période qualifiée de « fascisme autoritaire ».

Les méthodes que les régimes autocratiques utilisent pour se maintenir au pouvoir nous rappellent les propos de Benavides. On pourrait employer l’expression oxymorique « démocrates autoritaires » pour décrire le caractère antidémocratique de l’utilisation qu’ils font des institutions publiques desquelles ils n’hésitent pas à tirer profit, que ce soit en éliminant leurs rivaux de la course à la présidentielle ou en bafouant les pratiques acceptables. Il existe toute une série de tactiques pour conserver le pouvoir et l’illusion de la démocratie : les ONG locales peuvent faire l’objet de pressions par le biais d’inspections des impôts et d’autres contrôles fiscaux, de procédures d’enregistrement strictes et de mesures destinées à freiner les flux de bailleurs de fonds étrangers, pendant que les ONG contrôlées par le gouvernement (appelées peut-être à juste titre GONGO en Russie) prolifèrent. Dans ces pays, la critique est considérée comme une trahison et la diversité des opinions comme une faiblesse et rarement comme une force. Les dirigeants qui découragent l’étude et l’examen critique de leurs propres situations ne voient manifestement pas l’ironie de la chose, étant donné que c’est précisément cette remise en cause qui a non seulement contribué à se libérer du joug colonial, mais qui a également été à l’origine de l’innovation dans les économies développées.

Les dirigeants qui découragent l’étude et l’examen critique de leurs propres situations ne voient manifestement pas l’ironie de la chose.

Ces types de régimes privilégient les listes de partis et les nominations, au détriment du suffrage universel direct. Ils s’en prennent aux organes de presse et aux journalistes indépendants (quelquefois jusqu’à provoquer la mort, comme ce fut le cas en Russie), tout en s’assurant d’être à la une de la presse locale. Ils jouent sur le besoin de stabilité, ils essayent d’amadouer leurs partisans en leur offrant des contrats, des prestations sociales, des pensions et des emplois - autant de conditions propices à la corruption généralisée et à la stagnation. Le concept retenu est celui d’un « État développementiste » ou d’un « État comme force de développement ». L’emploi dans le secteur public est maintenu à un haut niveau, au même titre que les allégeances. En Afrique du Sud, où le taux de chômage est supérieur à 40 %, l’État est aujourd’hui le principal employeur, avec environ un quart des effectifs.

Afrique du Sud : 40 % de chômage, 60 % de la population active

Et lorsqu'il s'agit d'élections, l'approche est nettement plus sophistiquée et ne se limite pas à malmener ou emprisonner des opposants, ni même à truquer les résultats des scrutins. Parmi les techniques utilisées figurent le charcutage électoral, la falsification des registres électoraux, l'invention de faux électeurs, l'exploration des listes électorales (notamment à travers la tristement célèbre base de données numérique Maisanta au Venezuela), la redistribution du butin sous forme de contrats et de biens aux partisans, l'étranglement des ressources destinées aux opposants, y compris par l'intimidation des bailleurs de fonds, la restriction du financement étranger accordé aux ONG et le contrôle des médias. Les élections sont une nécessité pour maintenir la légitimité, et elles deviennent donc la cible de l'appareil d'État. Comme l'a souligné Dobson à propos du Venezuela sous Chávez :

...un "paradoxe unique : à chaque élection, le pays perd un peu plus de sa démocratie".9

L’économie politique est modelée par les besoins du pouvoir et du clientélisme. Comme le rappelle Tendai Biti, « Le maintien du pouvoir alimente l'utilisation de l'État comme une arène de redistribution. » De même, l'identité est utilisée comme un outil de loyauté et de privilège. Selon Biti, un ancien opposant au régime de Robert Mugabe, qui a été ministre des Finances dans le gouvernement d’unité au Zimbabwe, « la pauvreté et l'ignorance sont instrumentalisées à travers les dons, l'alimentation et les subventions sociales, où la dépendance est utilisée comme une force malveillante par les dirigeants ».10 

La tentation pour les dirigeants de s'éloigner des idéaux libéraux est évidente, ne serait-ce que parce qu'elle élimine les contraintes sur la maniabilité et impose des niveaux de transparence et de responsabilité. Ainsi, l'autoritarisme n'est pas seulement une question de violence en soi, ni même de savoir si les votes comptent – et sont comptabilisés – lors des élections nationales. Il s'agit d'un système et de l'objectif du gouvernement, où les élites profitent de manière disproportionnée et ont peu (ou pas) de comptes à rendre ou de chances d'être évincées par les urnes. Ce modèle est attractif pour ces élites. Il offre la perspective d'une accumulation rapide de richesses pour un petit nombre de privilégiés (avec le « grand homme » au sommet de la pile de milliardaires, à l'instar de Vladimir Poutine, par exemple) et de ne jamais perdre le pouvoir sans limites légales à l'autorité personnelle et au contrôle de l'État sur tous les freins et contrepoids, y compris les médias. 

Cela est étranger aux pays occidentaux, quel que soit l'attrait personnel pour certains dirigeants. Imaginez, comme l'écrit Anne Applebaum, « un président américain qui contrôlerait non seulement la branche exécutive – y compris le FBI, la CIA et la NSA – mais aussi le Congrès et le pouvoir judiciaire, The New York Times, The Wall Street Journal, The Dallas Morning News et tous les autres journaux ; ainsi que toutes les grandes entreprises, y compris Exxon, Apple, Google et General Motors ».11

En réponse à leur insécurité, « au lieu de la démocratie », poursuit Applebaum, Poutine et ses semblables « promeuvent l'autocratie; au lieu de l'unité, ils essaient constamment de créer des divisions; au lieu de sociétés ouvertes, ils prônent la xénophobie. Plutôt que de laisser les gens espérer quelque chose de mieux, ils encouragent le nihilisme et le cynisme ».

Cette cabale veut que la démocratie échoue, et pas seulement en Ukraine.

Voilà donc la décision de réenvahir l'Ukraine, de faire s'effondrer sa démocratie et son économie, de pousser les institutions occidentales à leurs limites, et de soutenir les régimes autoritaires ailleurs, de la Syrie au Soudan, tout en réduisant l'influence américaine. Pour parodier la ligne de Francis Fukuyama sur la fin de la guerre froide, c'est le retour de l'histoire. Mais c'est une histoire qui se réécrit à grands risques et coût élevé. 

Les dangers croissants de la tentation autoritaire sont visibles, notamment en matière de gouvernance, de responsabilité, de transparence et de droits de l'homme. Mais ce n'est pas un grand saut pour un mouvement de libération imprégné d'une fausse idéologie communiste (les dirigeants ont tous des intérêts commerciaux privés importants) et une lutte où la fin justifie souvent les moyens. En ajoutant à cela, en vivant dans une région entourée d'autres mouvements similaires, d'Angola à travers la Namibie et le Zimbabwe jusqu'au Mozambique et à la Tanzanie, tous sont encore fermement ancrés au pouvoir depuis l'indépendance. La plupart ont jusqu'à présent fonctionné moins par peur et violence manifeste que par des moyens plus sophistiqués, une combinaison de stratagèmes économiques quasi-mafieux, de contrôle des médias et d'affaiblissement des institutions, un mélange soigné de « coercition calibrée » impliquant l'application d'une certaine peur avec la distribution de loyers, l'intimidation et la propagande, des stratagèmes idéologiques élaborés et ce que Sergei Guriev et Daniel Triesman appellent des « rituels de loyauté », de la corruption à l'auto-censure.12 Ces méthodes incluent l'utilisation de banques et institutions offshore pour à la fois protéger leurs actifs et corrompre d'autres à leur cause. Bien qu'ils puissent (en grande partie) rester dans les limites de la loi et de la violence, ils ignorent systématiquement l'esprit de la loi. 

La montée de ces « démocrates autoritaires » peut bien sûr être résistée. L'histoire de l'activisme démocratique non-violent montre l'importance de ce processus de ciblage des partisans étrangers des régimes, pas des fonctionnaires locaux, et une ou deux personnalités clés, dans des tentatives de fragmenter leur façade. Des sanctions ciblées contre ces individus peuvent également prendre effet, même si c'est seulement comme un outil d'ostracisme, car il n'y a rien qu'un paria politique aime habituellement plus que d'être adoré.

Benazir Bhutto

Benazir Bhutto. Source : Flickr/AnneAE (CC BY-NC-ND 2.0)

Benazir Bhutto, par exemple, a évoqué l'efficacité des mesures financières comme facteur de pression sur les dirigeants, du fait des points de vulnérabilité. « Le premier appel qu'ils recevront viendra de leur maîtresse qui faisait ses courses chez Harrods lorsque sa carte de crédit a été bloquée », a-t-elle déclaré à Ron Suskind, son biographe.13 « Et le second viendra de leur femme demandant pourquoi les frais de scolarité du petit Ahmed n'ont pas été payés à Georgetown. Ils ne tarderont pas à changer d’attitude ». Des contre-arguments se posent, notamment du fait que les sanctions ont pour effet d'externaliser les causes des problèmes d'un pays, à l'instar de ce que la Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (l'Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique ou ZANU-PF) a tenté de faire en prenant des mesures ciblées contre des membres éminents du parti au Zimbabwe, et aussi du fait qu'elles demandent une résilience que les démocraties n'ont pas. Toutefois, la rhétorique hostile sur ces types de mesures personnalisées laisse penser qu'elles sont efficaces, ou du moins, qu'elles affectent directement les personnes qui en sont le point de mire.

Révolution tunisienne

Révolution tunisienne. Source : Flickr/Chris Belsten (CC BY 2.0)

Les manifestations et rassemblements non violents peuvent être un moyen efficace de faire émerger discrètement des questions sociales et politiques, tout comme des slogans et symboles frappants peuvent se révéler de puissants catalyseurs politiques (tel a été le cas de la révolution de jasmin en Tunisie, de la révolution de velours en Tchécoslovaquie, de la révolution des roses en Géorgie et de la révolution orange en Ukraine). L’enquête d’opinion est un autre moyen de résister à l’intimidation et aux manœuvres pour faire jouer la carte de l’identité. En contactant directement les groupes échantillonnés, il est possible d’établir quels sont les problèmes qui préoccupent les électeurs et de jouer sur ces points, et par là même, de modifier les stéréotypes identitaires.

Les partis au pouvoir ne sont toutefois pas les seuls fautifs, ni les seuls à devoir être contrôlés ou changés. Les partis d’opposition devront eux aussi redoubler d’efforts. 

Le défi de la première libération

Autre tendance, la façon dont les anciens mouvements de libération apprennent rapidement à tourner le pouvoir à leur avantage, comme le feraient des démocrates autoritaires, et notamment leur manière de collaborer entre eux, face aux défis que posent les partis et les mouvements d’opposition démocratiques.

La plupart des pays d’Afrique australe n’ont pas encore connu de « seconde » libération, autrement dit, la libération des mains des libérateurs. Au lieu de cela, les sept anciens mouvements de libération régionaux restants ont cherché à asseoir leur pouvoir, en collaborant les uns avec les autres à cet effet, et en contrant leurs ennemis, supposés ou autres.

Ils comprennent :

  • Le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA, au pouvoir depuis 48 ans en 2024), 
  • Le Parti démocratique du Botswana (BDP, 58), 
  • Le Front de libération du Mozambique (FRELIMO, 49), 
  • L'Organisation du peuple du Sud-Ouest africain de Namibie (SWAPO, 33 ans),
  • Le Chama Cha Mapinduzi de Tanzanie (CCM, ou « Parti révolutionnaire », près de 63 ans si l'on inclut la période pré-parti entre 1961 et 1977), 
  • Le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud (30), et
  • ZANU-PF, 43.

Un des moyens de coopération a été par le truchement de l’organisation du Former Liberation Movement (l’Ancien mouvement de libération ou FLM), dont le tout dernier sommet s’est tenu aux Chutes Victoria le 18 mars 2024. Pour tous les membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le FLM est une réincarnation du groupe des « États de la ligne de front » qui s’était réuni dans les années 1970 pour lutter contre l’apartheid. Toutefois, l’incarnation moderne de cette organisation ne vise pas à promouvoir les intérêts des 216 millions de personnes qui vivent à l’intérieur des frontières de ses pays membres, mais plutôt à maintenir le parti politique au pouvoir. Selon un communiqué de presse de l’ANC publié au terme du sommet qui s’est tenu aux Chutes Victoria, le FLM est:

Intro Anc

[Une] plate-forme cruciale pour progresser vers la consolidation d’un front progressiste dans la région de l’Afrique australe et sur l’ensemble du continent, d’autant plus que les forces contre-révolutionnaires cherchent à diviser et à fragmenter le front progressiste par le biais de forces politiques dissidentes, y compris en finançant des ONG qui servent de façades pour parvenir à de telles fins. Aussi l’agenda contre-révolutionnaire continue-t-il à se manifester hideusement, à travers le soutien de divers partis politiques d’opposition censés fragmenter le soutien électoral populaire du FLM. Ces forces cherchent à stopper le progrès de la révolution et à maintenir le continent africain en position de fournisseur de ressources naturelles pour enrichir le monde occidental, comme c’était le cas à l’époque de l’esclavage et de la conquête coloniale. Le néocolonialisme considère le FLM comme une véritable menace, d’où la volonté de déstabiliser notre unité en recourant à des procédés complexes, imbriqués dans toutes les sphères de notre nation, afin de conquérir l’esprit de notre peuple et de le dresser contre les FLM.14

Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération (FLM) des six partis amis de la Zanu-PF (Camarade Dr O.M. Mpofu) à l’ANC (Camarade Fikile Mbalula) aux Chutes Victoria, le 18 mars 2024, Congrès national africain, 17 mars 2024

Cette description passe sous silence des décennies de mauvaise gouvernance et impute la colère des électeurs à l’égard des FLM à des acteurs extérieurs. 

Dans les années 1970 et 1980, les États de la ligne de front ont été confrontés à l’ennemi commun qu’était l’apartheid. Aujourd’hui, ils sont unis par des objectifs moins nobles. Ils partagent un nouvel ennemi commun : les partis d’opposition qui osent remettre en cause leur mainmise sur le pouvoir et les rentes considérables dont bénéficient leurs élites par le biais de contrats et de la corruption. Il est inconcevable pour eux que les partis d’opposition soient totalement originaires de leur pays et bénéficient d’un soutien important de la part de la majorité de la population. Le FLM a été créé pour contrôler et analyser les tendances géostratégiques et les défis nationaux et mondiaux qui se posent à leur autorité, et pour concevoir des plans d’assistance mutuelle. 

Même l’Occidental le plus optimiste et le plus enthousiaste à l’égard des mouvements de libération – qui comptent encore quelques sympathisants – reconnaîtra que cette évolution n’est pas dans l’intérêt des peuples qui vivent sous ces régimes, ni dans celui de la cause de la démocratie en général. Lors d’un précédent sommet du FLM en 2017, un document intitulé _War with the West_ a été adopté, lequel reprochait aux anciennes puissances coloniales et aux États-Unis de chercher à changer les régimes à travers des « révolutions de couleur », le financement des membres de l’opposition et même par des tentatives de coup d’État. Ce sommet est parvenu à la conclusion de la nécessité d’une école politique commune à visée idéologique, afin d’inciter à la vigilance face à de telles menaces. Cette dernière offrirait une « base idéologique solide » aux cadres du parti, ainsi qu’une série de « mesures disciplinaires sévères » que les mouvements de libération amis devront mettre en œuvre.15

Le communiqué du sommet des FLM de 2024, dont les propos reflètent leur tendance à se battre contre des moulins à vent à la recherche d’ennemis idéologiques imaginaires, se termina par la déclaration suivante :

Intro Anc

‘À l’approche des élections nationales et provinciales, nous sommes convaincus que les forces néocoloniales qui cherchent à déstabiliser les mouvements de libération n’y parviendront pas. Nous, l’ANC, sommes convaincus de remporter une victoire électorale écrasante, car les personnes qui défendront le mouvement sont les forces motrices et les bénéficiaires du changement, autrement dit, notre peuple.’ Le communiqué continue ainsi, ‘Nous croyons que notre programme de transformation résonne plus fort que la propagande bon marché qui cherche à faire vaciller l’hégémonie politique des FLM.’16

Déclaration de l'ANC sur le transfert de la présidence de la réunion de l'Ancien Mouvement de Libération

Le FLM exprime ainsi ouvertement son objectif de définir des stratégies pour permettre aux mouvements de libération de s’accrocher au pouvoir politique ; des partis qui, lorsque l’on combine le temps qu’ils ont passé au pouvoir, auront cumulé 324 ans de règne en 2024. En d’autres termes, tous les moyens sont bons pour atteindre un but donné quand il s’agit de pouvoir, que ce soit par la caricature jaunie des oppositions démocratiques en les qualifiant de néocolonialistes, de néolibérales ou « d’occidentales », ou par le rejet des révolutions de couleur sous prétexte qu’elles seraient le fruit de complots extérieurs dirigés contre l’intérêt du peuple. 

Les démocrates du monde entier, et en particulier ceux qui vivent en Occident, devraient arrêter de croire que les mouvements de libération africains partagent leurs valeurs ou même leurs intérêts, d’autant plus que les deux sont liés. Mais les démocrates africains devraient s’inquiéter davantage des tentatives délibérées visant à diluer et à réduire leurs droits. Ils ne peuvent pas prétendre ne pas avoir été avertis, étant donné la hardiesse des anciens mouvements de libération à cet égard. 

Les régimes autoritaires s'unissent effrontément

La Mwalimu Julius Nyerere Leadership School a été créée en 2022 en Tanzanie par le Chinese Communist Party (Parti communiste chinois ou CCP) comme l’école de formation politique désignée dans le communiqué du FLM précité, pour servir « d’école politique suprême pour tous les partis membres \\[sic\\] du FLM ». Ceci devrait susciter de vives préoccupations, et pas seulement de la part des concurrents continentaux étrangers de la Chine. Les démocrates du monde entier, y compris en Afrique, devraient se réveiller. 

École de leadership Mwalimu Nyerere

La première chose que les participants voient en entrant dans l'école de leadership est une citation du premier dirigeant de la Tanzanie après l'indépendance, Julius Nyerere. Photo : Mwalimu Nyerere Leadership School

Soutenue par le PCC en Chine, la Nyerere Leadership School a été créée pour assurer la formation idéologique et la mise en réseau des cadres de six des sept partis de libération d’Afrique australe (le Botswana n’était pas inclus au départ) qui sont restés au pouvoir depuis l’indépendance : le MPLA, le FRELIMO, la SWAPO, le CCM, l’ANC et la ZANU-PF.

Cette inquiétude quant au rôle de la Chine est loin d’être due à la sinophobie. La nouvelle vague d’intérêt de la Chine pour l’Afrique depuis l’an 2000 a apporté beaucoup de changements positifs, qui se sont traduits par des investissements dans les entreprises et la construction d’infrastructures, et ce faisant, elle a contribué à transformer la façon dont le continent est considéré, non plus comme un problème à résoudre, mais comme un continent avec des perspectives commerciales. 

Mais cette école du parti ne cherche pas à transmettre les enseignements en matière de réforme économique, d’efficacité bureaucratique ou de stratégies de lutte contre la corruption, autant de domaines pour lesquels la Chine possède une expérience considérable. En tout état de cause, aucun de ces messages ne revêt un intérêt particulier pour les participants.

Il s’agit plutôt d’une manœuvre géopolitique cynique qui s’accompagne de conditions claires et qui vise à créer un effet de levier. La conditionnalité chinoise, au sens « occidental » du terme, dans ce cas, n’est pas synonyme d’une meilleure gouvernance – en fait, il se pourrait même que ce soit le contraire – mais plutôt d’endettement, et d’endettement massif.

Graphique montrant une augmentation de 138,7 millions en 2004 à 170,1 milliards en 2024

Les prêts chinois aux pays africains sont passés de 138,7 millions de dollars américains à 170,1 milliards de dollars américains au cours des 20 dernières années. En Afrique subsaharienne, la part de la Chine dans la dette extérieure publique totale est passée de moins de 2 % en 2005 à près de dix fois ce pourcentage en 2021. Voilà donc un levier particulièrement utile en soi pour assurer le soutien de l’Afrique à la Chine, ainsi qu’à ses objectifs plus larges et un acompte ferme sur les ressources minérales et énergétiques de la région.17

Cette évolution politique est extrêmement préoccupante et devrait jeter le doute sur les raisons qui ont poussé ces mouvements de libération à briguer le pouvoir et sur les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La Nyerere Leadership School donne aux partis du FLM la possibilité de collaborer systématiquement par le biais d’une formation conjointe dans des infrastructures mises à leur disposition par l’école centrale du parti PCC à Pékin, grâce à un don de 40 millions de dollars américains.18

Cela n’a pas été fait dans l’intérêt de la démocratie, bien au contraire, étant donné la tendance historique de cinq des six membres fondateurs de l’école (l’Afrique du Sud étant exempte, pour l’instant) vers un régime à parti unique, et la façon dont ils ont constamment usé de machinations pour saper le constitutionnalisme et les pratiques électorales démocratiques. Ils affichent non seulement un mépris manifeste pour l’opposition politique, mais ont également étouffé et entravé tout ce qui constituait une menace démocratique pour leur pouvoir, notamment en emprisonnant, voire en assassinant, les dirigeants de l’opposition et de la société civile qui posaient problème. Aujourd’hui, ils s’allient pour préserver leur pouvoir, en dépit des aspirations de leurs peuples. 

Les deux tiers des Africains préfèrent la démocratie

Deux tiers des Africains interrogés par Afrobaromètre préfèrent systématiquement la démocratie à d'autres formes de gouvernement, parmi lesquels 43 % en Afrique du Sud, 47 % en Angola, 75 % au Zimbabwe, 79 % en Tanzanie, 49 % au Mozambique et 55 % en Namibie.

Il semble qu’on apprécie beaucoup plus la démocratie quand on a été longtemps gouverné par un parti unique.19

Comme le note l’associé de recherche ougandais Paul Nantulya, le terme mandarin désignant cette entraide est weiwen, qui se traduit par « maintien de la stabilité » ou « survie du régime » sous le règne du PCC. Dans un article rédigé pour le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Nantulya conclut que « le modèle de gouvernance du PCC apparaît comme l’une des manœuvres employées pour truquer les systèmes multipartites afin de s’accrocher au pouvoir. »20

Carte de l'Afrique montrant l'emplacement de l'École de leadership Mwalimu Julius Nyerere

L'école de leadership Mwalimu Julius Nyerere est un partenariat entre les partis au pouvoir du Tanzanie, Mozambique, Namibie, Angola, Afrique du Sud, Zimbabwe et le PCP.

S’inspirant de la légende du leader tanzanien post-colonial, Mwalimu Julius Nyerere, la fondation éponyme de leadership est la première école politique construite par le PCC à l’étranger. Des commissaires politiques de l’école centrale du Parti PCC à Pékin ont été déployés à l’école de leadership Nyerere en qualité d’instructeurs chargés de former un « front uni » (ou tongyi zhanxian), une stratégie du PCC visant à mobiliser des soutiens pour promouvoir les intérêts du parti et isoler ses adversaires. 

Les premiers médias extérieurs à parler de la Nyerere Leadership School ont publié ceci : « Derrière les portes closes de l’école, l’économie est reléguée au second plan par rapport à la formation politique. Des formateurs chinois envoyés de Pékin enseignent aux dirigeants africains que le parti au pouvoir doit se placer au-dessus du gouvernement et des tribunaux et qu’une discipline féroce au sein du parti peut garantir l’adhésion à l’idéologie du parti ».21

Huit drapeaux flottent devant l'entrée de l'école

Huit drapeaux flottent devant l'entrée de l'école : le drapeau national de la Tanzanie et un pour chaque parti au pouvoir des pays africains participants, ainsi que le drapeau du PCC. | Photo : Politiken/Sebastian Stryhn Kjeldtoft

L'emblème du PCC figure dans toutes les communications officielles de la Nyerere Leadership School, de même que les insignes des six partis du FLM, tandis que le drapeau du PCC flotte à l'entrée de l'école. Comble de l'ironie, Nyerere prônait la justice sociale et la médiation par le biais d'une culture de la tolérance, mais la Nyerere Leadership School a une orientation tout à fait différente. Lors de la cérémonie de remise des diplômes qui a eu lieu en juin 2023 et à laquelle ont assisté les dirigeants du PCC et du FLM, Richard Kasesela, ancien haut fonctionnaire tanzanien, a fait état des différents scrutins anticipés au sein de la SADC. "Si nous ne remportons pas ces scrutins, nous ne pourrons pas parler de mouvements de libération. Dans l'immédiat, nous devrions aider la ZANU [Zimbabwe] à remporter ses élections. L'ANC [L'Afrique du Sud] et la SWAPO [Namibie] vont aller aux élections l'année prochaine [il faisait référence à 2024] et le CCM [Tanzanie] en 2025. Il nous faut mettre en place des plans pour nous aider mutuellement à remporter ces élections."22

La façon dont la Russie a apporté un soutien militaire aux régimes autoritaires africains et, en retour, a obtenu des minéraux et d'autres avantages financiers, ainsi que les relations croissantes de la théocratie iranienne sur le continent africain, sont autant de raisons de s'inquiéter de l'avenir de la démocratie. Cela dit, le défi ne se pose pas uniquement au continent africain.

La nécessité d'un guide stratégique à l'intention des démocrates

Les mouvements de libération faisaient autrefois de la lutte pour les droits de tous, le moyen de légitimer leur campagne pour accéder au pouvoir politique et, à l’inverse, le moyen de délégitimer leurs opposants. Depuis lors, ils ont ouvertement accepté de saper ou d’abroger ces droits pour conserver le pouvoir, même à l’ère du multipartisme. Christopher Clapham, spécialiste des questions africaines de l’université de Cambridge, explique toutefois que dans l’histoire des mouvements de libération, le moment vient très vite, où un tel régime « est jugé non pas sur ses promesses, mais sur ses résultats, et s’il s’est contenté de conforter sa position de privilégié qui rappelle celle de son prédécesseur évincé, ce jugement risque d’être très sévère ».23

Il est possible de résister à la montée des autocrates et des « démocrates autoritaires », mais pour cela, il faut tirer quelques enseignements majeurs de ces derniers temps.

Premièrement, l’Occident ne viendra pas en aide aux démocrates, en Afrique comme ailleurs. Ils sont trop préoccupés à mener leurs propres combats et à ne pas perdre du terrain au profit de la Chine, de la Russie et d’autres pays.

La stabilité et les intérêts stratégiques l’emportent sur les droits de l’homme. Même si un soutien extérieur s’avérerait utile, rien des récents événements ne laisse espérer quoi que ce soit. Le minimum serait, comme l’a fait remarquer le dirigeant du parti d’opposition en Ouganda, Robert Kyagulany – connu sous le nom de Bobi Wine – à propos des États-Unis, « de ne pas payer notre oppresseur ». Les instances étrangères ne devraient pas causer du tort si elles ne trouvent pas les moyens moraux et financiers de faire le bien. 

Deuxièmement, les mouvements de libération ne savent peut-être pas assurer des services et offrir de meilleurs choix et résultats économiques à leurs citoyens, mais ils savent très bien se maintenir au pouvoir et compter les uns sur les autres pour obtenir de l’aide.

Cet état des choses ne peut être renforcé qu’avec l’implication des autres BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), dont la plupart sont des États autoritaires. Le succès passe avant tout par l’appropriation et l’organisation au niveau local. 

Photo de la famille des leaders du BRICS en marge du 10ème Sommet des BRICS

Photo de la "famille BRICS" en marge du 10e sommet des BRICS en 2018. | Photo : Flickr/GovernmentZA (CC BY-ND 2.0)

Et troisièmement, la responsabilité de gagner des élections doit impérativement retomber sur les mouvements des partis d’opposition eux-mêmes. Certes, les candidats sortants essaieront de voler les élections par bien des moyens, mais il revient aux forces de l’opposition d’agir et de ne pas se contenter d’être des spectateurs passifs.

Les opposants ont besoin de leur propre récit, de se rapprocher des électeurs, de fédérer leurs mouvements et d’adopter les meilleures pratiques du guide stratégique à l’intention des démocrates. Parmi les étapes importantes figurent les campagnes d’inscription électorale et les messages publicitaires ciblés en fonction des résultats des sondages, les stratégies de communication pour lutter contre les fausses nouvelles, ainsi que la formation plus concrète (et le financement) des agents électoraux, une vérification assidue des listes électorales (notamment en supprimant les électeurs décédés) et la mobilisation des démocrates dans toutes les régions, vu le rôle central du suivi et de l’appui africain. Ce sont les citoyens, et non des acteurs extérieurs, qui doivent remporter le vote, bien avant le jour de l’élection. 

Les dirigeants des partis d’opposition et des mouvements de la société civile doivent donc élaborer un « guide stratégique sur la démocratie » en prévision des élections. Les opposants ne peuvent pas se fier uniquement au fait de se présenter contre le Gouvernement. Bien que les médias sociaux offrent de réelles opportunités à l’opposition, particulièrement parce qu’ils réduisent le coût des campagnes, ils ne sont pas une panacée, car le gouvernement peut également tirer parti des mêmes outils et peut « couper » l’Internet. Outre mener de bonnes campagnes, les oppositions doivent avoir une vision qui leur permet de se démarquer. Les partis doivent donner aux citoyens une bonne raison de voter pour eux. Il faut aussi que les démocrates – à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement – développent un récit qui transcende les frontières de l’identité. Tout au long de ce processus, l’opposition doit prouver sa propre légitimité démocratique en tenant les promesses formulées lors de sa campagne électorale.

Ces tactiques et les stratégies qui y concourent font l’objet de ce guide stratégique, fruit du travail d’un groupe de spécialistes internationaux, tous des observateurs avertis des comportements des régimes autoritaires en Afrique et à l’étranger, et dont bon nombre ont eux-mêmes participé à des élections en tant que candidats ou observateurs. Ce livre se veut un guide pour ceux qui aspirent à un avenir plus démocratique en renversant la vapeur face à l’autocratie. Il reste à mener une lutte acharnée et difficile pour garantir un résultat différent et meilleur. 

Les enjeux sont de taille, plus importants qu’ils ne l’ont jamais été depuis la fin de la Guerre froide. La politique et la garantie de la liberté de choix, de l’équilibre des pouvoirs et de la concurrence des idées sont essentielles pour améliorer la gouvernance et les performances économiques.24 Mais, comme l’a dit Viktor Yushchenko, ancien Président de l’Ukraine qui a été à la tête de la révolution orange de 2004 et qui a vu le pays s’engager sur la voie de l’Europe plutôt que de rester sous la tutelle de la Russie, « il n’y a pas de liberté sans démocratie ».25

1 Samuel Huntington, The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century. Norman: University of Oklahoma Press, 1991.

2 ‘Freedom in the World Timeline’, Freedom House, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/50-Year-Timeline.

3 William J. Dobson, The Dictator’s Learning Curve: Inside the Global Battle for Democracy. New York: Anchor, 2013.

4 ‘Democracy under Siege’, Freedom House, 2021, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2021/democracy-under-siege.

5 “The Mounting Damage of Flawed Elections and Armed Conflict”, Freedom House, 2024, https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2024/mounting-damage-flawed-elections-and-armed-conflict.

6 Koh Ewe, ‘The Ultimate Election Year: All the Elections around the World in 2024’, Time, 28 December 2023, https://time.com/6550920/world-elections-2024/.

7 Sapa, ‘Malema Mourns Death of Anti-Imperialist Chávez’, Mail & Guardian, 6 March 2013, https://mg.co.za/article/2013-03-06-malema-mourns-death-of-anti-imperialist-chavez/.

8 Sapa, ‘Malema Mourns Chavez’, Soweton, 6 March 2013, https://www.sowetanlive.co.za/news/2013-03-06-malema-mourns-chavez/.

9 Dobson, The Dictator’s Learning Curve.

10 Intervenant lors du lancement de la Platform for African Democrats (Plateforme des démocrates africains), Le Cap, 23 mars 2024.

11 Anne Applebaum, ‘The Reason Putin Would Risk War’, The Atlantic, 3 February 2022, https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/02/putin-ukraine-democracy/621465/.

12 Sergei Guriev et Daniel Triesman, Spin Dictators: The Changing Face of Tyranny in the 21st Century. Princeton: Princeton University Press, 2022.

13 Discussion, Bellagio, 7 May 2013.

14 Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération (FLM) des six partis amis de la Zanu-PF (Camarade Dr O.M. Mpofu) à l’ANC (Camarade Fikile Mbalula) aux Chutes Victoria, le 18 mars 2024, African National Congress, 17 March 2024, https://www.anc1912.org.za/anc-statement-on-the-handover-of-the-chairmanship-of-the-meeting-of-the-former-liberation-movement-flm-six-sister-parties-from-zanu-pf-cde-dr-o-m-mpofu-to-the-anc-cde-fikile-mbalula-at-victoria/.

15 ‘When “Democracy” Becomes “Regime Change”’, Institute for Security Studies, 15 December 2017, https://issafrica.org/iss-today/when-democracy-becomes-regime-change.

16 « Communiqué de l’ANC sur la passation de la présidence de la réunion de l’ancien mouvement de libération».

17 Hany Abdel-Latif, Wenjie Chen, Michele Fornino and Henry Rawlings, ‘China’s Slowing Economy Will Hit Sub-Saharan Africa’s Growth’, International Monetary Fund, 9 November 2023, https://www.imf.org/en/News/Articles/2023/11/09/cf-chinas-slowing-economy-will-hit-sub-saharan-africas-growth.

18 Jevans Nyabiage, ‘China’s Political Party School in Africa Takes First Students from 6 Countries’, South China Morning Post, 21 June 2022, https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3182368/china-party-school-africa-takes-first-students-6-countries.

19 ‘Analyse Online’, Afrobaromètre, https://www.afrobarometer.org/online-data-analysis/.

20 Paul Nantulya, ‘China’s First Political School in Africa’, Africa Center for Strategic Studies, 7 November 2023, https://africacenter.org/experts/paul-nantulya/.

21 Bethany Allen-Ebrahimian, ‘In Tanzania, Beijing Is Running a Training School for Authoritarianism’, Axios, 20 August 2023, https://www.axios.com/chinese-communist-party-training-school-africa.

22 «Discours de Richard Atufigwege Kasesela lors de la cérémonie de clôture de la Mwalimu Julius Nyerere Leadership School », YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=5wNOgIQaTDw.

23 Christopher Clapham, ‘From Liberation Movement to Government’, KAS International Reports, 1 February 2013, https://www.kas.de/documents/252038/253252/7_dokument_dok_pdf_33517_2.pdf/7434a417-9120-2bc4-62b3-e9d6ab7c9078?version=1.0&t=1539663338095.

24 Greg Mills, Rich State, Poor State. Johannesburg: Penguin Random House, 2023.

25 Intervenant lors du lancement de la Platform for African Democrats (Plateforme des démocrates africains), Le Cap, 23 mars 2024.

Partie 1

Comment truquer une élection

Au cours des dix dernières années, les dictateurs et leurs alliés de par le monde ont maintes et maintes fois démontré qu’ils savent comment manipuler les élections et se maintenir au pouvoir par le biais d’un large éventail de stratégies sans cesse plus sophistiquées. Même les dirigeants qui provoquent l’effondrement de l’économie et qui laissent la corruption échapper à tout contrôle savent comment appliquer la politique du « diviser pour régner » et intimider les partisans de leurs rivaux. Le livre How to Rig an Election (Comment truquer une élection) (2024) identifie cinq stratégies principales qui ont été utilisées au cours des 30 dernières années pour empêcher la défaite de gouvernements impopulaires : les stratégies de « trucage invisible », telles que le charcutage électoral et la manipulation des listes électorales ; le patronage et la corruption électorale ; les stratégies qui consistent à diviser pour mieux régner et à avoir recours à la peur et à la violence ; les tactiques numériques et en ligne, notamment la désinformation et le piratage ; ainsi que la fraude électorale et le bourrage d’urnes. La combinaison de ces stratégies peut compliquer considérablement l’accession au pouvoir des partis d’opposition et cela permet de comprendre pourquoi, en moyenne, les régimes autoritaires qui organisent des élections sont en réalité plus susceptibles de survivre que ceux qui n’en organisent pas. En général, la qualité des élections est particulièrement faible en Afrique, dans une grande partie de l’Asie, dans les États postcommunistes et, dans une moindre mesure, en Amérique latine (voir Figure 1).

Qualité des élections dans le monde

Figure 1 : Qualité des élections dans le monde. Dans quelle mesure les élections ont été libres et justes sur une échelle de 0 à 4, les scores les plus élevés correspondant aux élections les plus libres.
Red = 0, Green = 4. Source : V-Dem

La qualité moyenne des élections dans le monde a de ce fait baissé au cours des dix dernières années.

La qualité moyenne des élections dans le monde a de ce fait baissé au cours des dix dernières années.

La qualité moyenne des élections dans le monde a de ce fait baissé au cours des dix dernières années. Selon l’Institut V-Dem, après avoir récemment atteint un niveau élevé de 2,8 sur 4 en 2012 (les scores les plus élevés correspondant à de meilleures élections), ce chiffre est tombé à 2,68 en 2022, en raison d’une augmentation des actes d’intimidation de la part des gouvernements et d’un recul de la liberté des médias. Ces tendances révèlent que les élections sont désormais plus dangereuses pour les partis d’opposition et plus difficiles à remporter (voir figure 2). 

Élections Intimidation Gouvernementale - 2023

Figure 2 : Degré des actes d’intimidation des gouvernements lors des élections sur une échelle de 0 à 4, les scores les plus élevés correspondant à un degré d’intimidation moindre. Rouge = 0 ; Vert = 4. Source : V-Dem

Il est dès lors crucial pour les acteurs concernés par les élections et la démocratie – les citoyens, les militants, les partisans de l’opposition, les groupes de la société civile, les journalistes, etc. – d’innover aussi rapidement et efficacement que leurs homologues des régimes autoritaires, et de partager ces innovations avec tous ceux qui se battent pour la liberté un peu partout dans le monde.

Ce chapitre présente les moyens que les régimes répressifs utilisent aujourd’hui pour manipuler les élections, en mettant l’accent sur les stratégies spécifiques qu’ils emploient pour saper les partis d’opposition et sur la façon de les contrer. Il commence par examiner la manière dont les autocrates essayent de saper les partis et les dirigeants de l’opposition, puis il aborde la façon dont ils dominent les médias et étouffent la dissidence, capturent et intimident l’ensemble de la population, ont recours à l’achat de votes et truquent le résultat des élections. Chaque section du chapitre présente les toutes dernières tactiques utilisées et indique les étapes importantes à franchir avant de décider de se présenter à une élection dans la perspective de former un mouvement d’opposition. Puis le chapitre examine plus en détail les moyens utilisés par les régimes autoritaires pour s’assurer un avantage déloyal et propose une série de recommandations sur la manière de réagir, en se basant sur la façon dont les partis d’opposition ont réussi à surmonter ces tactiques lors des dernières élections.

Comment les régimes autoritaires sapent les partis et les dirigeants de l’opposition

L’une des principales stratégies utilisées par les gouvernements des régimes autoritaires consiste à diviser pour mieux régner et à fragmenter les partis d’opposition, tout en multipliant les atteintes à la réputation des principaux dirigeants de l’opposition afin de les ostraciser et de les diminuer. Pour réussir leurs campagnes, les membres de l’opposition ont donc intérêt à trouver des moyens de contrer ces stratégies et de présenter leurs dirigeants comme des rassembleurs efficaces, et ce, malgré la campagne de désinformation dont ils sont victimes. Pour ce faire, il y a deux aspects essentiels à prendre en compte.

Premièrement, créer des coalitions stables et inclusives et énoncer des projets de politique clairs et concrets peut rehausser la crédibilité des mouvements d’opposition.

Deuxièmement,

il faut éviter de commettre des erreurs fondamentales, telles que l’utilisation d’un langage violent ou « tribaliste », qui joueront en faveur du gouvernement. 

Les autocrates intelligents sont constamment à l’affût de la plus grande menace qui pèse sur leur autorité. Dans de nombreux cas, ils suivent, surveillent et mettent sur écoute des personnes avant même qu’elles n’aient décidé de se présenter aux élections. Cette pratique est particulièrement répandue lorsqu’il s’agit de dirigeants de groupes de la société civile et de syndicats importants, ou d’enfants d’anciens dirigeants de l’opposition ou de pères fondateurs de la nation. Si vous êtes considéré comme un dirigeant potentiel de l’opposition, il se peut que votre téléphone soit mis sur écoute et que vos déplacements soient surveillés. Les tweets et les messages que vous avez publiés seront également archivés sur les sites de médias sociaux, tels que Facebook et Twitter/X, et les utilisateurs pourraient bien faire des captures d’écran afin de conserver une trace de vos propos, même si vous supprimez vos comptes. 

Pour contrer les stratégies basées sur la politique dite de «diviser pour mieux régner », il convient donc d’adopter une approche qui s’inscrit dans le long terme, de penser son image de marque et sa réputation bien avant de se porter candidat, d’adopter une approche inclusive et d’anticiper les stratégies séparatrices que les partis au pouvoir ne manqueront pas de mettre en œuvre.

Remporter la victoire implique de planifier à l'avance :

  • Que vous le vouliez ou pas, vous êtes bel et bien en campagne électorale pour toute votre vie, et ce que vous faites avant d’annoncer votre candidature est important.
  • Faites constamment attention à ce que vous dites et à ce que vous faites, ainsi qu’aux dirigeants et aux groupes que vous fréquentez – car ils peuvent être et seront utilisés contre vous.
  • Soyez particulièrement prudent lorsque vous faites des commentaires sur des groupes spécifiques : s’ils sont perçus comme désobligeants ou peuvent être présentés comme tels par vos rivaux, ils peuvent ressortir pendant les élections et vous coûter le soutien de communautés entières.

Ostraciser les dirigeants de l’opposition et diviser pour mieux régner

La politique du « diviser pour mieux régner » est une stratégie classique des régimes autoritaires, qui date d’avant l’ère coloniale jusqu’à aujourd’hui. Les dictateurs et les autocrates sont bien conscients que la plus grande menace qui pèse sur leur maintien au pouvoir ne peut venir que d’une opposition unie. Dès lors, pour éviter la défaite, il faut exacerber les tensions afin de fragiliser la résistance au régime autoritaire.

Cette démarche peut s’effectuer essentiellement de deux façons.

La première

consiste à tenter de diviser l’opposition sur des bases économiques, ethniques, raciales, religieuses ou régionales. Ce système est des plus efficaces, et donc le plus susceptible d’être utilisé, dans les pays où l’ethnicité, la race, les groupes linguistiques et/ou les régions sont particulièrement manifestes, comme en Afrique subsaharienne, ou dans les pays où les identités économiques sont plus prononcées, comme en Amérique latine et en Europe.

La seconde

consiste à présenter les principaux dirigeants de l’opposition comme des traîtres ou des vendus et ainsi à justifier les actes de violence de l’État à leur encontre. Cette stratégie s’est avérée particulièrement efficace dans les cas où des puissances extérieures sont présentes et perçues comme ayant joué un rôle malveillant, comme c’est le cas des États-Unis dans de nombreux pays d’Amérique latine et des anciennes puissances coloniales en Afrique. Si les gouvernements réussissent à le faire, ils peuvent faire passer les chefs et les mouvements rivaux pour des éléments « toxiques », ce qui les empêchera de former des coalitions et des alliances avec d’autres groupes plus modérés. 

Outre ces approches, les gouvernements cherchent souvent à présenter les dirigeants de l’opposition comme des menaces à la sécurité nationale. Dans la même lancée, ils peuvent aller jusqu’à prétendre que ce sont des traîtres, mais cette approche ne se limite pas à cela. Dépeindre l’opposition comme particulièrement violente et déstabilisatrice, par exemple, peut servir à justifier le recours à une répression sévère pour la contrôler. De même, accuser un dirigeant de l’opposition de soutenir des politiques sociales et économiques radicales qui menaceraient les biens et les familles – par exemple, de la classe moyenne – s’est avéré un moyen efficace d’empêcher l’émergence d’alliances par-delà les classes.

Président Edgar Lungu de Zambie

Président Edgar Lungu de Zambie | Flickr/Paul Kagame (CC BY-NC-ND 2.0)

Dans certains cas, les trois formes de stigmatisation peuvent se produire en même temps. Lors des élections générales de 2021 en Zambie, par exemple, le Président Edgar Lungu a repris deux stratégies fréquemment utilisées par les gouvernements précédents pour tenter de bloquer l’ascension politique du chef de l’opposition Hakainde Hichilema et de son United Party for National Development (Parti uni pour le développement national ou UPND). La première visait à limiter Hichilema à sa base au sein de la communauté Tonga de la province du Sud en prétendant que ce dernier était un nationaliste Tonga qui ne se souciait pas des intérêts du reste du pays et à qui l’on ne pouvait pas faire confiance pour les défendre. L’autre stratégie visait à empêcher Hichilema de mobiliser les jeunes et les citadins zambiens mécontents en le décrivant comme un élitiste déphasé qui s’était enrichi en manipulant par le biais de la corruption le processus boiteux de privatisation des mines de cuivre, aux dépens des mineurs locaux.

Candidat de l'opposition sénégalaise Bassirou Diomaye Faye

Le candidat de l'opposition sénégalaise Bassirou Diomaye Faye s'adresse à ses partisans. | Photo : Campagne présidentielle de Bassirou Diomaye Faye

Plus récemment, lors des élections générales au Sénégal en 2024, le gouvernement du Président Macky Sall a cherché à dépeindre le chef de l'opposition Ousmane Sonko et son parti Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l'Éthique et la Fraternité (PASTEF) comme étant des extrémistes dont l'existence même menaçait la stabilité de l'État et de la nation sénégalaise. Dans le cadre de cette stratégie, des accusations forgées de toutes pièces ont été utilisées pour arrêter Sonko et d'autres dirigeants tels que le secrétaire général du PASTEF, Bassirou Diomaye Faye, et les garder en prison pendant le début de la campagne électorale. Parallèlement, le PASTEF lui-même a été « dissous » après que le ministre de l'Intérieur ait signé un décret accusant les dirigeants dudit parti d'avoir « fréquemment appelé leurs partisans à des mouvements insurrectionnels, qui ont conduit à de graves conséquences, notamment des pertes en vies humaines, de nombreux blessés, ainsi que des actes de pillage de biens publics et privés ».1 Sonko étant dans la ligne de mire et le gouvernement étant déterminé à empêcher son nom de figurer sur le bulletin de vote, ce dernier a finalement été contraint de se retirer en faveur de Diomaye.

Les partisans de Bassirou Diomaye manifestent

Les partisans du candidat à la présidence Bassirou Diomaye et du leader de l'opposition Ousmane Sonko manifestent à Dakar le 24 février 2024. Photo : JOHN WESSELS/AFP via Getty Images

Comment réagir efficacement face aux stratégies visant à diviser pour mieux régner : 

  • Menez des campagnes inclusives et humanisez les dirigeants de l’opposition afin qu’ils ne soient pas dépeints comme dangereux ou indépendantistes. 
  • Formez des coalitions larges et stables afin de toucher un plus grand nombre d’électeurs et de renforcer le sentiment d’inclusion.
  • Gérez soigneusement l’image des principaux candidats de sorte qu’ils soient présentés comme des dirigeants responsables.
  • Évitez les erreurs lors des campagnes qui peuvent être facilement exploitées par le parti au pouvoir. 

Face à ces stratégies, il y a lieu de faire des déclarations et de prendre des mesures qui remettent en cause le discours du parti au pouvoir. De plus, et ce point est peut-être le plus important, les coalitions inclusives ont joué un rôle essentiel dans le succès des partis d’opposition dans des pays tels que le Sénégal (2000), le Kenya (2002) et la Gambie (2016).

En Gambie, par exemple, le régime cruel du Président Yahya Jammeh a été renforcé par l’usage extrême de la force et par un système électoral où les électeurs n’avaient pas de bulletins de vote, mais déposaient des billes dans l’urne du candidat de leur choix.

Les observateurs ont donc été peu nombreux sur le terrain et n’ont pas pu faire pencher la balance en faveur de l’opposition lors des élections générales de 2016, d’autant plus que Jammeh avait remporté les élections de 2011 avec 71,5 % des suffrages.

Élection en Gambie : Les électeurs utilisent des billes pour choisir le président

Un fonctionnaire électoral compte les billes qui seront utilisées par les électeurs dans un bureau de vote dans le district de Tallinding à Serekunda le 30 novembre 2016, à la veille de l'élection présidentielle gambienne. Photo : MARCO LONGARI/AFP via Getty Images

Les observateurs ont été peu nombreux sur le terrain et n’ont pas pu faire pencher la balance en faveur de l’opposition lors des élections générales de 2016, d’autant plus que Jammeh avait remporté les élections de 2011 avec 71,5 % des suffrages. Malgré cette situation, une large coalition de sept partis – la plus importante depuis l’indépendance – s’est formée autour d’Adama Barrow. Cette coalition a rassemblé le vote de l’opposition, tout en donnant aux citoyens l’espoir que Jammeh pourrait être vaincu. En dépit de conditions électorales inéquitables, notamment les coupures d’Internet et des tentatives généralisées d’achat de votes, M. Barrow a remporté le scrutin avec 46 % des voix, soit près de 10 % de plus que le Président.

Adama Barrow lors de son investiture

Adama Barrow lors de son investiture après avoir remporté l'élection. Photo : Chrisroberts-192 (CC BY-SA 4.0)

Lorsqu’il n’est pas possible de former des coalitions en bonne et due forme, les stratégies qui visent à faire preuve d’un leadership inclusif deviennent encore plus importantes. La stratégie qui consiste à s’assurer le soutien de dirigeants politiques et communautaires influents qui ne se présentent pas aux élections est très utile. Par exemple, bien que l’opposition sénégalaise n’était pas totalement unie à l’approche des élections de 2024, au vu du nombre de petits candidats aux élections présidentielles, Diomaye a bénéficié de l’appui d’autres dirigeants politiques. Ce qui est sans doute plus significatif encore, c’est que l’ancien Président Abdoulaye Wade et son mouvement, le Parti Démocratique Sénégalais ont apporté leur soutien à M. Diomaye après que leur propre candidat ait été disqualifié.

Prendre des mesures pour créer un parti plus inclusif avec une représentation plus large de la société peut également être très efficace, surtout si cela s’accompagne d’efforts pour humaniser un dirigeant de l’opposition et élargir sa base électorale en organisant des rassemblements à plus grande échelle. En Zambie, par exemple, l’équipe de campagne de Hichilema a travaillé d’arrache-pied en amont de l’élection de 2021 pour changer son image. Dans un premier temps, son alliance s’est élargie pour accueillir davantage de dirigeants de premier plan issus de l’extérieur de la province du Sud, et ses rassemblements et discours ont contribué à se rapprocher des électeurs urbains à travers le pays et à les séduire.

Photo de Hakainde Hichilema

Affiche de campagne de Hakainde Hichilema. Source : X/Hakainde Hichilema

D'un autre côté, la campagne a repris le surnom de « Bally » donné à Hichilema par certains jeunes électeurs. En Zambie, Bally désigne un oncle sympathique qui peut vous aider à vous sortir d’un mauvais pas. Le succès de ce surnom, systématiquement utilisé dans la campagne de l’UPND sur les médias sociaux, a permis à M. Hichilema de faire de sa richesse personnelle et de sa réussite en affaires un atout plutôt qu’un handicap.

Au lieu de voir le succès personnel de Hichilema comme quelque chose qui le rendait différent et peu susceptible de les aider, le nom de Bally signifiait qu'il était perçu comme une preuve de sa capacité à prendre soin de la Zambie en période de besoin.

En adoptant ces stratégies, les partis d'opposition qui contestent des élections injustes peuvent entraver les stratégies de division pour mieux régner utilisées par les gouvernements, élargir leur base de soutien et finalement accéder au pouvoir.

Exemple de pays

Flag

Venezuela

Le pouvoir du peuple au Venezuela

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Obstacles à l’inscription sur les listes des candidats et exclusion politique

Une stratégie classique d’exclusion consiste à empêcher les candidats et les partis de l’opposition de s’inscrire à la liste des candidats et partis aux élections pour que leurs noms ne figurent pas sur le bulletin de vote.

Pour ce faire, trois méthodes principales sont utilisées.

Premièrement,

les formulaires des candidatures de l’opposition peuvent être rejetés pour vice de procédures, au motif qu’une partie du formulaire n’a pas été remplie exactement comme elle aurait dû l’être.

Deuxièmement,

les candidats peuvent être déclarés inéligibles parce qu’ils ne remplissent pas l’une des conditions, comme être ressortissant du pays ou avoir atteint un certain niveau d’éducation.

Troisièmement,

les gouvernements font tout pour que les candidats de l’opposition n’aient pas la possibilité de déposer leur dossier en personne. Naturellement, dans ces trois stratégies, les gouvernements ne jouent pas franc jeu. Bien au contraire, ils manipulent la loi et les faits pour justifier des exclusions illégitimes.

Cette approche peut être très efficace pour les partis au pouvoir, car elle est moins médiatisée que les actes de violence électorale et peut être présentée comme un simple vice de procédures plutôt que comme un acte flagrant d’exclusion politique. Cela explique pourquoi, entre 1989 et 2010, plus d’une élection sur dix ont été marquées par l’exclusion de plusieurs candidats de l’opposition. Citons l’exemple classique de la Zambie, où le Président Frederick Chiluba a empêché Kenneth Kaunda de se présenter aux élections générales de 1996. À l’approche des élections, le gouvernement de Chiluba a fait passer une loi selon laquelle les candidats à la présidence devaient être nés de deux citoyens zambiens, puis il a prétendu que les parents de Kaunda n’étaient pas zambiens, bien que ce dernier ait été Président de la Zambie de la période de l’indépendance jusqu’en 1991.

Les exemples d’exclusion politique ne manquent pas. _How to Rig an Election_ (Comment truquer une élection) relate l’histoire des élections générales de 2006 à Madagascar, lorsque « [Marc] Ravalomanana a vu ses chances d’être réélu fortement compromises par Pierrot Rajaonarivelo, un ancien Vice-Premier ministre ». Rajaonarivelo, qui avait été envoyé en exil, a dû rentrer au pays pour pouvoir se présenter. En vertu de la loi organique sur l’élection du Président de Madagascar, les candidats ne peuvent se présenter que s’ils déposent leurs dossiers de candidature en personne, à Madagascar. La suite logique a donc été pour Rajaonarivelo d’acheter un billet d’avion pour rentrer au pays avec l’intention de mettre fin à son exil et de se porter candidat à la présidence(...). Des partisans ont afflué à l’aéroport, impatients d’accueillir le chef de leur parti parmi eux. Malheureusement, ils ont été la cible de tirs de gaz lacrymogènes. Au même moment, le Président Ravalomanana a décidé unilatéralement la fermeture de l’aéroport de Toamasina et de suspendre le trafic aérien, si bien que le vol de Rajaonarivelo a été renvoyé pour cause de « risque pour la sécurité » à bord.[2](#footnote-ref-2) Le même scénario s’est répété jusqu’à l’expiration du délai de dépôt des dossiers de candidature. Au final, Rajaonarivelo n’a pas pu se présenter et Ravalomanana l’a emporté haut la main.

Pierrot Rajaonarivelo

Pierrot Rajaonarivelo. Photo : Mavitriky (CC BY-SA 3.0)

Cette stratégie continue d’être massivement utilisée. Lors des élections de 2020 en Biélorussie, le « dernier dictateur » d’Europe, le Président Alexandre Loukachenko, a dû faire face à une pression croissante de la part d’une population qui aspire désespérément à la liberté politique. L’opposition à son régime auparavant fragilisée par les nombreuses stratégies auxquelles il a eu recours, dont certaines ont été décrites dans ce chapitre, a commencé à se cristalliser autour de Sergueï Tsikhanovski devenu célèbre grâce à son contenu pro-démocratique sur YouTube et les médias sociaux. 

La chaîne YouTube de Syarhei Tsikhanouski

La chaîne YouTube de Syarhei Tsikhanouski | Source : YouTube

Conscient qu'il perdrait probablement contre Tsikhanovski dans des conditions d'élections libres et équitables, Loukachenko a fait arrêter Tsikhanovski et de nombreuses autres figures de l'opposition. En raison de cette arrestation, Tsikhanouski n'a pas été autorisé à se présenter aux élections présidentielles.

Comment réagir efficacement face aux obstacles à l’inscription sur les listes de candidats et à l’exclusion politique: 

  • Mettez en place une équipe dédiée chargée d’examiner et de finaliser les formulaires de candidature et de réunir les pièces justificatives relatives aux conditions préalables, telles que la nationalité, les exigences en matière d’éducation, etc.
  • Renforcez les capacités juridiques en interne pour informer sur les procédures d’inscription, acquérir de l’expertise sur les recours en cas de rejet de l’inscription et préparer à l’avance les documents nécessaires auxdits recours.
  • Adoptez des stratégies de styles de leadership plus souples de manière à pouvoir remplacer les candidats dont la candidature a été rejetée par d’autres candidats solides, et ne renoncez pas à participer aux élections.
  • Soyez très prudent si vous choisissez de réagir par un boycott des élections : ce type d’action fragilise souvent l’opposition sur plusieurs décennies et donne au parti au pouvoir la possibilité de modifier la constitution afin de consolider son pouvoir.

Instaurer des procédures internes efficaces visant à garantir le remplissage correct des formulaires et la fourniture des pièces justificatives attestant de l’éligibilité bien avant la date butoir peut contribuer à réduire le risque de se voir exclu de la liste des candidats aux élections. Mais si un gouvernement est déterminé à interdire à un rival de se présenter, remplir parfaitement les formulaires ne suffira pas, car l’administration trouvera des raisons fallacieuses de bloquer l’opposition. Dans ces circonstances, il est essentiel de faire preuve de souplesse dans l’exercice du leadership. Pour revenir à l’exemple du Sénégal, lorsqu’il est apparu clairement que le Président Sall n’avait pas l’intention de permettre à Sonko de se présenter aux élections de 2024, car il était le chef de l’opposition le plus connu et le plus charismatique, Sonko s’est désisté en faveur de Diomaye. Dès lors, l’opposition était en mesure de participer aux élections, bien que ce soit sous la houlette d’un autre dirigeant et après que le parti lui-même ait été officiellement ‘dissous’ par le gouvernement.

L’autre option principale possible pour l’opposition était de boycotter les élections suivant le principe que Sonko aurait dû être autorisé à se présenter, dans le but d’embarrasser le parti au pouvoir pour qu’il fasse des concessions et d’obtenir le soutien de la communauté internationale. C’est l’option qu’a prise le principal parti d’opposition du Bangladesh, le Bangladesh Nationalist Party (le Parti nationaliste du Bangladesh), en prévision des élections de janvier 2024, arguant que le niveau de répression était si élevé qu’il n’était pas possible de se présenter aux élections dans de telles conditions. Cette décision était tout à fait justifiée au vu du contexte – depuis octobre 2023, plus de 1500 dirigeants et militants de l’opposition ont été condamnés dans le cadre d’une vague de répression – mais elle comporte un certain nombre de risques.3 Le fait de ne pas se présenter aux élections législatives, par exemple, peut contribuer à accroître considérablement la majorité dont jouit le parti au pouvoir au sein de l’organe législatif. Cela est d’autant plus important que, dans la plupart des pays, une majorité des deux tiers suffit pour modifier la constitution, et ainsi permettre au gouvernement d’adopter une législation plus restrictive ou de supprimer la limitation des mandats présidentiels. Autant que les boycotts peuvent permettre à de nouveaux partis et dirigeants d’émerger pour combler le vide, il devient ensuite difficile pour les partis impliqués dans le boycott de s’en remettre par la suite. C’est la raison pour laquelle l’étude de Matthew Frankel conclut que...

...‘les boycotts des élections ne donnent que rarement des résultats et que le parti qui boycotte finit presque toujours par se retrouver dans une situation pire qu’avant’4

Dans le cas du Sénégal, la décision que Sonko et Diomaye ont prise de se présenter était manifestement la bonne. Sonko a pu transférer sa popularité à Diomaye, qui a remporté une victoire très nette avec 54 % des voix. En Biélorussie, la candidate qui s’est inscrite ‘à la place’ de l’ancienne figure de l’opposition n’a pas connu le même succès, mais a néanmoins réussi à faire flotter le drapeau de la démocratie et à donner de l’espoir pour l’avenir. Lorsqu’elle a découvert qu’elle ne pouvait pas présenter la candidature de M. Tsikhanovski, Sviatlana Tsikhanouskaya, l’épouse de ce dernier, a décidé de se présenter à la place de son mari. Le Président Lukashenko l’a autorisée à se présenter en raison de clichés misogynes suggérant qu’une femme ne pourrait pas constituer une menace pour lui. La bravoure de Tsikhanouskaya et son attitude de ‘politicienne atypique’ ont prouvé à Loukashenko qu’il avait tort et lui ont permis de rallier les citoyens à sa cause, provoquant ainsi des rassemblements de masse et un nouvel élan au sein de l’opposition. Ils ont finalement eu recours à des manipulations électorales et à des menaces de violence pour l’empêcher de remporter le scrutin, mais elle avait déjà révélé l’aspiration des Bélarussiens à un changement politique.

Leader de l'opposition biélorusse au Parlement européen s'adresse aux députés européens

La cheffe de l'opposition biélorusse, Sviatlana Tsikhanouskaya, s'adresse aux députés européens au Parlement européen. Photo : Flickr/Parlement européen (CC BY 2.0) 

Comment les régimes autoritaires contrôlent les médias, réduisent au silence les voix de l’opposition et achètent des votes

La manipulation des médias et l’achat de votes sont deux aspects de la manipulation électorale qui ne reçoivent pas toute l’attention qu’ils mériteraient. Le paysage médiatique a tendance à être intrinsèquement biaisé en faveur des partis au pouvoir. Même dans les démocraties établies, les gouvernements en place ont tendance à dominer la nouvelle couverture médiatique, simplement parce que les médias doivent couvrir les communiqués et les discours politiques les plus importants. La situation est bien pire dans les États autoritaires, où ils n’hésitent pas à avoir recours à un grand nombre de stratégies sournoises et souvent illégales pour saper la liberté des médias. Étant donné le rôle des médias dans le conditionnement de l’attitude des populations vis-à-vis des dirigeants et des partis – et voire dans la question de savoir si le gouvernement fait du bon travail – il est crucial de disposer d’un plan média efficace pour contourner ces restrictions.

Les partis au pouvoir cherchent également à manipuler l’attitude des populations à leur égard en recourant au patronage, aux promesses de nouveaux développements et en achetant des votes. Dans presque toutes les élections, le gouvernement est en mesure de dépenser plus que les partis d’opposition en raison de l’accès qu’il a aux ressources de l’État et de la possibilité qu’il a de recourir à la corruption pour transférer les recettes de l’État dans son budget de campagne. 

Les partis d’opposition commettent souvent deux erreurs majeures lorsqu’ils réagissent à la manipulation des médias et à l’achat de votes.

Côté médias,

la tentation est parfois grande d’abandonner les médias traditionnels, tels que les journaux et la radio, et de se concentrer sur les médias sociaux, plus faciles d’accès. Cette approche est tout à fait justifiée, compte tenu de l’inaccessibilité des médias traditionnels et du battage médiatique autour des médias sociaux, mais les campagnes en ligne ne peuvent pas à elles seules permettre de remporter une élection.

S’agissant de l’achat de votes,

il peut être tentant d’essayer de rivaliser avec le parti en faisant systématiquement des dons. Certes, des distributions de fonds de ce type peuvent se révéler nécessaires pour permettre aux candidats de se présenter comme étant crédibles et généreux, mais il sera probablement impossible de dépenser plus que le parti au pouvoir. Une approche plus efficace serait de dire aux citoyens que le vote à bulletin secret signifie qu’ils peuvent accepter de l’argent d’autant de candidats qui en proposent, et malgré tout voter pour le parti de leur choix.

Remporter la victoire implique de planifier à l'avance :

  • Constituez une équipe dédiée aux médias chargée d’élaborer les messages clés, de veiller à ce que la campagne reste fidèle à « l’image de marque » et de formuler une stratégie médiatique.
  • Rappelez aux électeurs que l’argent qui leur est donné par les responsables et les dirigeants du parti au pouvoir est en réalité le leur, car il a généralement été volé dans les caisses de l’État.
  • Créez une base de données centrale d’adresses électroniques et de numéros de téléphone de journalistes afin de pouvoir diffuser rapidement des informations clés et des communiqués de presse à l’ensemble des médias en cliquant simplement sur un bouton.
  • Nouez des relations avec les journalistes et les organes de presse bien avant les élections afin d’instaurer la confiance avant la campagne.
  • Mettez en place des campagnes médiatiques en ligne et hors ligne différentes, mais qui se complètent mutuellement.

Il est dès lors crucial pour les partis d'opposition de développer des stratégies médiatiques flexibles qui ne perdent pas de vue l'importance des médias traditionnels, qui puissent fonctionner même dans des environnements restrictifs, et qui rappellent aux électeurs qu'ils peuvent accepter l'argent du parti au pouvoir tout en « votant en leur âme et conscience ».

Country Example

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Zimbabwe

Le trucage des élections au Zimbabwe

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Contrôle des médias, censure et désinformation

Les gouvernements emploient généralement cinq stratégies principales pour assurer leur contrôle sur le paysage médiatique. Ils imposent une censure stricte aux services publics de radiodiffusion, y compris aux principales stations de radio et de télévision. Ils utilisent la publicité gouvernementale – qui, dans certains pays, vaut plus que les ventes pour les journaux – pour punir les critiques du régime et récompenser les porte-parole fidèles. Ils promeuvent massivement leurs propres récits par le biais de médias nationaux et internationaux, en veillant à ce que leurs messages soient diffusés quotidiennement auprès des citoyens. Ils dénaturent les médias sociaux en diffusant de la désinformation et en employant des équipes de partisans du parti au pouvoir qui se font passer pour des ‘citoyens normaux’ afin de masquer l'impopularité du gouvernement. Ils utilisent une législation répressive pour cibler et museler les voix critiques en ligne, et pour influencer à leur avantage le comportement des sociétés de téléphonie mobile et de télécommunications.

Les régimes particulièrement répressifs déploient tout l'arsenal de stratégies, si bien qu'il est extrêmement difficile pour les groupes d'opposition de faire passer leur message. Au Nicaragua, par exemple, les attaques contre la presse ont considérablement augmenté après le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2007.

Daniel Ortega en janvier 2007

Daniel Ortega en 2012. Source : Flickr/Cancillería del Ecuador (CC BY-SA 2.0)

Depuis lors, le harcèlement des journalistes et la censure des médias se sont intensifiés, tout comme l'autocensure des médias – lorsque les journalistes décident de ne pas écrire de choses critiques envers le gouvernement parce qu'ils connaissent les risques potentiels. Selon le V-Dem Institute, ‘Le gouvernement d'Ortega a verrouillé l'espace journalistique au fil des ans, en adoptant des lois qui permettent de criminaliser toute nouvelle qui va à l’encontre de leurs intérêts, en procédant à la détention et à l’intimidation de journalistes, et en révoquant les licences des médias indépendants. Les manifestations antigouvernementales de 2018 ont donné lieu à une répression violente, suivie d'attaques encore plus virulentes contre la presse indépendante.’5

Attaques contre la liberté de la presse au Nicaragua

Ce graphique montre comment les atteintes à la liberté de la presse au Nicaragua ont augmenté depuis le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2007. Source : V-Dem

Bon nombre de ces stratégies sont bien connues des dirigeants de l’opposition, mais le degré de manipulation des médias sociaux et d’intimidation des multinationales est souvent sous-estimé.

Capture d'écran du tweet de Netblocks concernant le blocage d'Internet en Tanzanie

Lors des élections tanzaniennes de 2020, par exemple, le gouvernement du Président John Magufuli a réussi à faire pression sur les sociétés internationales de téléphonie mobile pour qu'elles bloquent les messages mentionnant le nom du principal dirigeant de l'opposition, Tundu Lissu. Lorsqu'ils parlaient de leurs parents ou de leur travail, les citoyens voyaient leurs messages passer - mais pas lorsqu'il s'agissait d'exprimer leur soutien à Lissu. L'une des sociétés qui a participé à ce processus, c'est Vodacom Tanzania, qui fait partie du groupe Vodafone, dont le siège est au Royaume-Uni et prétend promouvoir «l'inclusion pour tous», tout en «opérant de manière responsable».

Des recherches récentes ont également démontré les efforts que font les partis au pouvoir pour essayer de façonner les discussions sur les réseaux sociaux. Au Nigéria, par exemple, les influenceurs se sont autoproclamés ‘secrétaires de propagande’, et ils travaillent pour les partis afin de produire des informations et des désinformations qui incluent souvent des histoires de fake news farfelues. Dans le même temps, le parti au pouvoir a investi énormément de temps et d'énergie pour s'assurer qu'il pouvait modeler les discussions sur les réseaux sociaux à son avantage. C'est crucial car alors que les messages partagés sur Twitter peuvent être lus par des millions de personnes instantanément, ce n'est pas le cas sur des plateformes telles que WhatsApp, où les groupes ont été limités à 512 personnes. Cela signifie que pour communiquer avec un grand nombre de personnes, il est nécessaire de créer un système hiérarchique où les groupes se chevauchent. 

Centre des nouveaux médias Buhari

Avant les élections générales de 2019, le parti au pouvoir a agi de cette manière par le biais du Buhari New Media Centre, en collectant des milliers de numéros de téléphone et en créant plusieurs niveaux de groupes WhatsApp à chaque niveau du système politique. En conséquence, ils ont pu communiquer avec des dizaines de milliers de partisans beaucoup plus rapidement et efficacement que n'importe quel autre parti du pays. Cela a permis aux dirigeants du parti d'être rapidement alertés des nouveaux développements sur le terrain et de diffuser leur message préféré à leurs partisans et militants, qui publieraient ensuite ce contenu sur Facebook et Twitter, lui conférant ainsi une portée beaucoup plus large.

Une fois ces réseaux établis, il devient possible de promouvoir les types de messages décrits plus haut, qui sèment la discorde, diabolisent les dirigeants de l’opposition et sapent leur crédibilité.

Les stratégies particulièrement efficaces passent par l’utilisation de photos truquées, et surtout d’enregistrements audio truqués et de trucages vidéo, nettement plus crédibles aux yeux des citoyens que de simples messages écrits.

Il est aujourd’hui très difficile de contrer ces stratégies, étant donné les ressources plus importantes dont disposent les partis au pouvoir et le fait que les entreprises de médias sociaux ne soient pas parvenues à investir suffisamment pour ne pas se laisser distancer dans la course à l’armement des médias sociaux dans laquelle se sont lancés de nombreux pays. Pour être en mesure de démystifier les fausses nouvelles, il importe de mettre en place une équipe spécialisée chargée d’analyser les plateformes de médias sociaux et d’y apporter des modifications. Cette équipe devrait également établir des liens étroits avec les médias traditionnels, les entreprises de médias sociaux et les ministères, afin que les messages qui posent le plus de problèmes, tels que les discours d’incitation à la haine – qui ne sont pas nécessairement diffusés par le gouvernement lui-même – puissent être supprimés.

Par ailleurs, les partis d’opposition doivent tirer les leçons du Buhari New Media Centre et mettre en place des réseaux et des structures efficaces pour communiquer leurs messages. Pour ce faire, ils devraient notamment créer des groupes WhatsApp et Telegram (ou similaires) qui se recoupent et développer des contenus adaptés aux différentes plateformes, les messages devant être optimisés pour WhatsApp, Facebook, Twitter et/ou les sites Web habituels. Il serait également judicieux de tirer parti de la portée et de la créativité des influenceurs et des personnalités jouissant d’une grande popularité, car ils sont souvent mieux équipés que les dirigeants et les conseillers politiques pour sonder l’opinion publique et anticiper ce qui passerait bien en ligne.

Ce faisant, il est important d’éviter de se lancer dans une campagne essentiellement négative, centrée sur des accusations à l’encontre des dirigeants du parti au pouvoir et sur des attaques contre les autorités gouvernementales. Ce type de campagne négative peut s’avérer nécessaire dans une certaine mesure pour mettre en lumière les défaillances du gouvernement, mais elle peut aliéner les citoyens si elle ne s’accompagne pas de messages positifs indiquant les actions que l’opposition entend mener pour améliorer la situation. Il est également important de maintenir une orientation positive, car toute utilisation de récits hostiles, en particulier à l’égard de dirigeants issus de certaines communautés et de certains milieux, peut empêcher que l’opposition se présente comme étant inclusive.

Comment répondre efficacement à la manipulation des médias et à la désinformation :

  • Ne vous attendez pas à ce que les messages fassent tout simplement le buzz ou à ce qu’il suffise d’avoir recours aux médias sociaux pour que les messages passent - il est impératif de constituer une équipe chargée des médias et de mettre en place des structures capables d’exercer une influence ou de promouvoir les messages en ligne.
  • Développez un système efficace de groupes WhatsApp/Telegram qui se recoupent pour que les messages soient rapidement relayés du niveau national au niveau local et vice-versa.
  • Désignez des personnes chargées de lutter contre la désinformation qui répondront en rectifiant rapidement les informations erronées.
  • Établissez des liens avec les principaux médias et les entreprises de médias sociaux afin de pouvoir les alerter rapidement en cas de désinformation.
  • Privilégiez surtout les récits positifs - les campagnes trop négatives peuvent avoir pour effet d’aliéner les citoyens.
  • Tirez parti des influenceurs établis et des citoyens bien connectés qui disposent déjà d’un grand nombre d’adeptes.
    Utilisez les médias traditionnels dans la mesure du possible pour renforcer les messages des médias sociaux et toucher les citoyens qui ne sont pas en ligne.

Il est également essentiel de ne pas trop se focaliser sur les médias sociaux. Dans certains pays, le pourcentage d’électeurs sur Twitter peut ne représenter que 10 à 20 %. En Afrique subsaharienne, par exemple, moins de la moitié de la population a un accès direct à Internet – et moins de 20 % ont l’électricité dans des pays comme le Burkina Faso, le Burundi, la République centrafricaine, le Niger et le Malawi – alors que 80 % ont accès à la radio.6 En conséquence, il est certes important de mener une campagne forte en ligne, mais il ne faut pas pour autant perdre de vue l’impact des médias traditionnels. Des messages et des publicités conçus pour être transmis par la radio – par exemple, sur des diffuseurs de service public lorsque c’est possible, et par le biais de la radio FM et de stations de radio communautaires – peuvent toucher un plus grand nombre de personnes qu’une campagne performante sur les médias sociaux. De même, il serait utile de miser sur l’accès à la télévision et la couverture par les journaux, en particulier dans les pays où le paysage médiatique est moins fortement contrôlé. La raison en est qu’ils touchent des publics différents et que le contenu publié par le biais de ces médias est souvent repris et relayé en ligne et par les radios communautaires. Il ressort en outre d’enquêtes sur l’utilisation des médias dans des pays comme le Kenya que les citoyens se fient davantage aux journaux et à la télévision qu’aux plateformes de médias sociaux, car ils sont conscients qu’une grande partie des informations qu’ils reçoivent par WhatsApp et Twitter sont fausses. Une stratégie médiatique exhaustive qui met l’accent sur des messages positifs et qui émet des critiques ciblées sur les performances du gouvernement est donc le moyen le plus efficace de se faire des alliés et d’influencer l’opinion publique.

Exemple de pays

Flag

Ouganda

Le compte de Bobi Wine

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Achat de votes et 'politique monétaire'

Les gouvernements ont un avantage naturel où l'achat de votes et l'argent en politique sont concernés, parce qu'ils ont directement accès aux ressources de l'État qu'ils peuvent utiliser pour financer leurs campagnes. Ils savent également que les communautés locales sont souvent frustrées par le fait que les députés et d'autres dirigeants font campagne dans leur région pendant les élections et qu'une fois élus, ils passent le plus clair de leur temps dans la capitale. Étant donné que nombre de promesses électorales ne sont généralement pas tenues, il est facile de comprendre pourquoi les partis au pouvoir ont souvent recours à la distribution d'argent pendant les campagnes pour tenter de redorer leur image et de s'attirer les faveurs des électeurs. Ce qui est donné varie souvent d'un pays à l'autre et d'une région à l'autre. De l'argent liquide est couramment distribué lors des manifestations et au coin des rues, et de la nourriture, des T-shirts et des boissons sont distribués gratuitement lors des rassemblements des partis. C'est l'une des raisons pour lesquelles les élections sont souvent si coûteuses pour les candidats et les partis de tous bords - les élections de 2024 en Inde seraient l'une des plus coûteuses jamais organisées, ayant été évaluées à plus de 16 milliards de dollars, selon l'Economist.7

Élections coûteuses : les dépenses ont presque doublé depuis la dernière élection de la Lok Sabha.

La distribution d'argent et de cadeaux remplit diverses fonctions pour un candidat. Cela peut démontrer leur générosité et leur volonté d'agir en tant que leader communautaire qui répondra aux préoccupations des citoyens. Ceci est particulièrement important dans les pays qui ne disposent pas d'un État-providence et où les normes ont évolué de telle sorte que les politiciens répondent eux-mêmes aux besoins fondamentaux de leurs électeurs, allant des frais de scolarité à ceux d'hôpitaux, en passant par les frais funéraires. C'est également un moyen pour les leaders de montrer qu'ils sont accessibles, ce qui, comme l'affirme Portia Roeloffs, est l'une des principales préoccupations des électeurs, surtout dans les pays où les élections se déroulent au niveau des circonscriptions.8

Modi sur un camion orange au milieu de la foule

Le premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, salue ses partisans lors d'une parade le 13 mai 2024 à Varanasi, en Inde. L'élection générale indienne de 2024 a été la plus coûteuse au monde, avec des dépenses somptueuses de la part des partis politiques et des candidats pour séduire les électeurs. Photo : Elke Scholiers/Getty Images

Malgré l'omniprésence de l'achat de votes dans de nombreux pays, et le fait que cette pratique soit généralement illégale, il est très rare de voir des poursuites pour ce délit, ou de l'invoquer comme une raison pour laquelle une élection est lancée. Une des raisons derrière ceci est notamment le fait qu'un grand nombre de candidats de différents partis y aient recours. Cela s'explique également par le fait que les commissions électorales se montrent généralement prudentes lorsqu'il s'agit d'engager des poursuites contre des dirigeants du gouvernement et requièrent souvent le soutien de la police pour faire aboutir les poursuites, quel qu'en soit le cas. Ces éléments peuvent donner l'impression qu'il n'existe aucun moyen de lutter contre l'achat de votes, mais en réalité, de nombreux partis d'opposition ont trouvé comment saper les gouvernements qui cherchent à recourir à l'achat de votes, en transformant ces pratiques pour en faire un de leurs puissants outils de campagne.

Citons, à ce propos, les premières élections en Namibie, parfait exemple où la South West Africa People’s Organisation (l’Organisation des peuples du Sud-Ouest africain ou SWAPO), qui avait libéré le pays, s'est retrouvée face à la Democratic Turnhalle Alliance (l’Alliance démocratique de Turnhalle ou DTA). Vers la fin d'une longue période de régime autoritaire dirigée par une minorité en Namibie, la DTA avait entamé des pourparlers avec le régime d'apartheid du gouvernement sud-africain, qui avaient abouti à un projet d'élections qui aurait laissé subsister des aspects essentiels de l'apartheid. Consciente qu'il était peu probable qu'elle remporte les élections en s'appuyant sur sa popularité et sa légitimité, la DTA a entrepris d'avoir recours à l'achat de votes. Le dirigeant de la SWAPO, Sam Nujoma, a vite réalisé que son parti n'était pas en mesure de rivaliser avec la DTA, compte tenu des énormes sommes d'argent dont celle-ci disposait. Il a alors, en réponse à cette situation, dit aux Namibiens d'accepter tout ce qu'on leur offrait, mais de voter en faveur de l'intérêt national. Pour reprendre les propos de l'un de ses camarades dirigeants de la SWAPO, ‘mangez DTA, votez SWAPO’.9

Comment réagir efficacement face à l'achat de votes :

  • Démontrez que vos candidats sont crédibles en étant généreux et accessibles aux communautés locales, sans essayer de rivaliser avec le parti au pouvoir en termes d'achat de votes.
  • Dites aux citoyens qu'ils peuvent accepter de l'argent de la part des candidats s'ils le souhaitent, mais qu'ils peuvent toujours voter pour le meilleur.
  • Renforcez la confiance des électeurs dans le secret du vote, afin qu'ils se sentent à l'aise de voter pour l'opposition, indépendamment des personnes dont ils ont reçu des cadeaux.
  • Insistez sur le fait que les petits dons disparaissent en quelques jours, alors que les services publics sont plus rentables et durent toute l'année.
Affiche électorale de Michael Sata

Affiche électorale de Michael Sata. Source : Zambia News Express

Une stratégie similaire a bien marché pour Michael Sata et le parti de l’opposition, le Patriotic Front – Front patriotique (PF) en Zambie lors des élections générales de 2011. N’ayant qu’un dizième des fonds que les autres partis ont à leur disposition, le PF a encouragé ses partisans à ne pas perdre de vue que le scrutin est secret et qu’ils peuvent donc « avoir le beurre et l’argent du beurre ». 10 C’est de là que vient la nouvelle expression anglaise/bemba « Don’t Kubeba », qui signifie « ne leur dites pas », créée par Guy Scott, le colistier de Sata. Cette stratégie a porté ses fruits et Sata a remporté les élections avec 43 % des voix, soit 9 % de plus que le candidat du parti au pouvoir, Rupiah Banda.

En effet, en Namibie et en Zambie, les leaders de l'opposition ont pu utiliser le recours du gouvernement à l'achat de votes à leur avantage, en argumentant que cela démontrait combien le parti au pouvoir était corrompu, et combien peu il avait réellement fait pour améliorer les conditions de vie des citoyens ordinaires. À cet égard, il est important de garder à l'esprit que des recherches ont montré que les électeurs ne considèrent souvent pas une tentative flagrante de 'acheter' leur soutien comme légitime. Bien que les cadeaux et les transferts financiers dans le cadre d'une relation à long terme soient souvent jugés non seulement acceptables mais souhaitables dans les pays à bas niveaux de développement économique, leur légitimité provient du fait qu'ils sont des expressions d'un lien plus profond entre les électeurs et les dirigeants. Ces liens sont généralement enracinés dans des connexions régionales, familiales, ethniques ou religieuses et évoluent sur de nombreuses années, avec des leaders crédibles investissant dans des projets de développement local et agissant en tant que représentants régionaux dans les discussions publiques. Distribuer de l'argent sans avoir établi ce type de connexion peut en réalité faire perdre du soutien à un candidat si cela est perçu comme une tentative flagrante d'acheter les votes des électeurs sans avoir véritablement cultivé une relation réelle. Les partis d'opposition peuvent donc faire des gains en mettant en lumière des exemples de ce comportement de la part des leaders du parti au pouvoir et en veillant à ne jamais s'en rendre eux-mêmes coupables.

Comment les dirigeants autoritaires contrôlent la population et la campagne électorale

La violence politique est très fréquente en période électorale, que ce soit dans les nouvelles démocraties ou dans les contextes plus autoritaires. Entre 2012 et 2016, un quart des scrutins ont été marqués par des actes de violence à l’encontre de l’opposition. La violence est particulièrement utile pour le gouvernement, car elle remplit plusieurs fonctions : elle démobilise les partisans de l’opposition et réduit les médias au silence, et elle rend l’idée de quitter le parti pour rejoindre l’opposition moins attrayante pour les membres du parti au pouvoir. Dans certains cas, la violence est flagrante et commise par les forces de police et de sécurité, elle est alors évidente pour les observateurs et la communauté internationale. 

Dans d’autres cas, cependant, les gouvernements, devenus très habiles, sont parvenus à maquiller la violence ou à faire porter le chapeau aux partis d’opposition. Ils ont pour cela fait appel à des acteurs non gouvernementaux de la sécurité, tels que des groupes d’autodéfense et des milices, pour faire passer les affrontements avec les partisans de l’opposition pour des événements localisés, spontanés et/ou ethniques, qui échappent par conséquent au contrôle ou à la responsabilité du gouvernement. Il y a également eu des tactiques « sous faux drapeau », comme les opérations du parti au pouvoir qui se font passer pour des partisans de l’opposition puis commettent des actes de violence très médiatisés qui sont ensuite utilisés pour légitimer une vague de répression contre les partisans de l’opposition. 

Tout cela signifie que les partis d’opposition sont souvent confrontés à un double défi s’ils veulent remporter des élections inéquitables : d’une part, protéger leurs partisans et leurs militants de la violence et, d’autre part, recueillir des preuves des abus commis, afin de mettre le parti au pouvoir face à ses responsabilités.

Remporter la victoire implique de planifier à l'avance :

  • Créez une équipe spécialisée chargée de faire le suivi des violences, de recueillir des preuves – notamment des photographies et des dossiers médicaux – et de les présenter aux groupes de défense des droits nationaux et internationaux ainsi qu'aux observateurs électoraux.
  • Mettez en place une équipe d'aide sociale chargée de s'occuper des personnes blessées lors des violences et des familles de ceux qui ont été tués.
  • Évitez de réagir par la violence – cela légitimerait de nouvelles attaques du gouvernement et donnerait l'impression aux médias et aux observateurs internationaux que les parties sont ‘toutes les deux mauvaises’.

Le recours à la violence pour discipliner et mobiliser

Lorsque la politique du diviser pour mieux régner et les tentatives de faire taire les voix critiques n’aboutissent pas, les gouvernements autoritaires recourent à la violence. On présume souvent que la violence attire les autocrates parce qu’elle intimide les dirigeants et les partisans de l’opposition et permet ainsi de remporter plus facilement les élections. Mais ce n’est toutefois que la moitié de l’histoire. Les dictateurs ont également recours à la violence pour effrayer leurs propres alliés et partisans à tel point qu’ils n’envisagent pas de passer à l’opposition. Montrer le prix élevé à payer quand une personne quitte l’alliance au pouvoir est un moyen pour les autocrates de renforcer la discipline dans leurs propres rangs – même dans les cas où certains de leurs alliés préféreraient s’en aller. Cela est d’autant plus important que dans de nombreux États autoritaires bien établis, tels que l’Ouganda et le Rwanda, le gouvernement ne risque pas d’être renversé à moins qu’il n’y ait une scission au sein même du parti au pouvoir. En effet, dans de nombreux pays, la première passation de pouvoir n’a eu lieu qu’après qu’une faction se soit détachée du gouvernement. Le plus souvent, la rupture est due à une lutte acharnée pour la succession d’un Président décédé en cours de mandat ou contraint de démissionner en raison de la limitation de son mandat, ce qui explique pourquoi les élections qui se déroulent des suites d’une « vacance du poste de Président de la République » où le parti au pouvoir doit présenter un nouveau candidat sont beaucoup plus susceptibles de déboucher sur des transferts du pouvoir.11

Cette stratégie persiste dans le monde entier en raison des multiples usages qui sont faits de la violence politique, en dépit de l’avènement de la technologie des téléphones portables, qui permet d’enregistrer beaucoup plus facilement les abus. Lors des élections générales de 2021 en Ouganda, par exemple, il y a eu une dangereuse montée de la répression par rapport aux scrutins précédents. Citons notamment le cas de Bobi Wine, la principale figure de proue de l’opposition, qui n’a cessé d’être la cible de harcèlements, d’arrestations et de mauvais traitements.

À la suite de manifestations des partisans de Wine, une riposte brutale des forces de sécurité a fait des centaines de morts, et entraîné l’arrestation et la torture de nombreux partisans et militants de l'opposition.

Bobi Wine à terre après avoir été abattu

Bobi Wine à terre après avoir été touché par un tir. Source : X/@HEBobiWine

Après avoir exercé une telle violence, les gouvernements peuvent en évoquer le souvenir comme un moyen de réprimer les communautés et les dirigeants de l’opposition pendant des années, et ce, en leur faisant clairement comprendre qu’il leur arrivera la même chose s’ils ne se comportent pas ‘comme il faut’. Au Zimbabwe, cette pratique est parfois appelée ‘violence subtile’ ou ‘action de secouer la boîte d’allumettes’ – ainsi, si vous avez brûlé la maison de quelqu’un une fois, vous n’avez pas besoin de le faire à nouveau, il vous suffit de rester dehors en secouant une boîte d’allumettes pour que les gens éprouvent une pression intense qui les pousse à obtempérer.

L’avantage de cette approche est qu’elle réduit le nombre d’agressions physiques qu’un gouvernement aurait commises, et permet ainsi de masquer les actes d’intimidation et de tromper les observateurs électoraux et les médias. De même, des stratégies secrètes sont régulièrement utilisées pour intimider les journalistes et les principales institutions de contrôle et d’équilibre. Les juges et les observateurs électoraux nationaux, par exemple, reçoivent régulièrement des menaces de mort à l’approche de la publication de verdicts clés sur les processus électoraux. 

Il est rarement judicieux de réagir à ces tactiques par la violence, et ce pour deux raisons. Premièrement, une telle attitude a pour effet de légitimer le recours à une violence encore plus forte à l’encontre de l’opposition, alors que le gouvernement dispose de plus d’armes. Deuxièmement, de nombreux gouvernements diabolisent les partis d’opposition en affirmant qu’ils sont des fauteurs de troubles qui alimentent les tensions sociales, comme nous l’avons vu plus haut, et tout recours à la violence rend cette stratégie plus facile à mettre en œuvre.

Une meilleure option consiste à essayer de tirer parti de la pression nationale et internationale pour obliger le gouvernement à réduire le niveau de répression.

Pour ce faire, il est important de recueillir systématiquement des preuves des violations des Droits de l’homme afin de pouvoir les présenter aux médias nationaux et internationaux, aux tribunaux et aux groupes de la société civile. Cela demande de mettre en place un réseau solide pour documenter les incidents violents et les preuves de ce qui s’est passé, d’établir des liens avec les groupes nationaux de défense des droits de l’homme et de la société civile, et de communiquer clairement avec les observateurs électoraux et les médias nationaux et internationaux. 

Comment réagir efficacement face à l'usage de la violence :

  • Développez un réseau solide avec les médias nationaux, régionaux et internationaux ainsi que les groupes de défense des droits de l’homme afin que les preuves d’abus puissent être diffusées en temps réel.
  • Expliquez aux observateurs et aux médias comment la violence est commise et organisée par le parti au pouvoir.
  • Saisissez les tribunaux régionaux et internationaux, comme la Cour pénale internationale, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
  • Soulignez l’engagement de l’opposition en faveur d’approches inclusives non violentes et évitez de donner raison à ceux qui essayent de faire croire que les partis d’opposition sont à l’origine des conflits. 
  • Utilisez des stratégies telles que la tactique de la « pastèque » afin que les partisans du parti puissent plus facilement échapper à la violence au quotidien.
  • Exploitez la désapprobation du public à l’égard de la violence pour dépeindre le parti au pouvoir comme une source d’instabilité et de désordre.

Si les partisans sont exposés aux attaques, le moral des troupes risque d’en souffrir. Il est donc important pour les partis d’opposition de faire preuve d’initiative. L’un des moyens d’y parvenir consiste à créer une unité interne chargée de s’occuper des personnes victimes de violences et de leurs familles, tout en s’efforçant de minimiser le risque de violation des droits de l’homme. Au nombre des mesures efficaces que certains partis ont adoptées au cours des dix dernières années figure le recours à la tactique de la « pastèque », qui consiste à encourager les partisans de l’opposition à ne professer aucune allégeance politique ou à faire semblant de soutenir le parti au pouvoir, afin de participer en toute sécurité à la campagne électorale.

Des

«Des foules de « pastèques » lors des campagnes électorales en Sierra Leone. Photo: cocorioko.net

Le terme vient de la Sierra Leone et de la Zambie, où il désigne les citoyens qui portent du vert – la couleur du parti au pouvoir – à l’extérieur, mais qui sont ‘rouges’ – la couleur du principal parti d’opposition – à l’intérieur. Cette tactique fait qu’il est plus difficile pour les hommes de main et les militants du gouvernement de savoir qui cibler pendant la campagne et qui empêcher de se rendre au bureau de vote pour voter. 

Ce que ces stratégies ne peuvent pas faire, c’est protéger les partisans de l’opposition dans leur région d’origine, où le gouvernement sait que la plupart des électeurs voteront pour des partis rivaux. Pour tenter de défendre leurs partisans dans ces régions, certains hommes politiques et dirigeants de l’opposition ont formé des groupes ‘d’autodéfense’ pour essayer de protéger leurs partisans de toute attaque lorsqu’ils se rendent aux urnes. C’est ce qu’ont fait par exemple certains dirigeants de l’opposition lors des élections de 2023 au Nigeria. Cette approche peut contribuer à renforcer la confiance des électeurs de l’opposition, mais, là encore, il faut éviter de donner l’impression d’employer des milices pour commettre des actes de violence, pour les raisons évoquées plus haut. Au Nigeria, par exemple, l’emploi de milices et de gangs par des hommes politiques a largement contribué à la montée en flèche de la violence observée dans de nombreuses régions du pays, ce qui a compromis la sécurité de tous les citoyens et créé une crise sécuritaire si grave qu’elle menace de compromettre les perspectives de la démocratie.

Exemple de pays

Flag

Angola

L’expérience angolaise

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Perturbation de la campagne électorale : interdictions de rassemblement, restrictions des déplacements, infiltration et cooptation

Un autre défi majeur auquel les partis d’opposition ont été confrontés ces dernières années est celui des restrictions imposées aux campagnes électorales. En général, il arrive beaucoup plus souvent que les partis d’opposition reçoivent l’interdiction de tenir des rassemblements et subissent des restrictions dans le cadre de leur campagne. Dans les pays où la législation coloniale est répressive ou obsolète, cela se traduit souvent par un refus de délivrer des autorisations d’organiser des élections. Lors des élections de 2023 au Zimbabwe, par exemple, la Citizens Coalition for Change (Coalition des citoyens pour le changement), le principal parti d’opposition, a dû annuler le lancement de sa campagne après s’être vu refuser l’autorisation à la dernière minute par la police, qui a invoqué l’absence de toilettes. Dans d’autres cas, de fausses préoccupations en matière de sécurité sont souvent invoquées pour empêcher ou faire cesser les rassemblements de l’opposition, alors que la principale menace de violence provient en fait des gangs et des forces de sécurité à la botte du gouvernement, plutôt que des membres de l’opposition eux-mêmes. 

Affichette de la Coalition des Citoyens pour le Changement (CCC)

Affiche sur les réseaux sociaux par la Coalition des citoyens pour le changement (CCC). Photo : X/CCCZimbabwe

Le recours à ces stratégies a atteint son paroxysme pendant l’épidémie de COVID-19, lorsque des préoccupations de santé légitimes ont été utilisées pour créer un climat de campagne très restrictif. Dans des pays comme l’Ouganda, par exemple, il était régulièrement refusé aux partis d’opposition le droit d’organiser des réunions et des manifestations, alors que les mêmes règles étaient rarement appliquées de la même manière au gouvernement. Ces stratégies peuvent être particulièrement difficiles à contrer, surtout lorsqu’elles semblent apparemment légitimes en raison de préoccupations sanitaires ou sécuritaires, et lorsqu’elles sont brutalement renforcées par les forces de sécurité. Pendant la période de COVID-19, par exemple, il y a eu de nombreux cas où les forces de sécurité ont commis de graves violations des droits de l’homme, pendant qu’elles faisaient appliquer des mesures de distanciation sociale, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Au cours des dix dernières années, la stratégie la plus efficace pour contrer ces restrictions a consisté à trouver d’autres moyens de communiquer avec les électeurs dans les zones concernées en utilisant :

A.

les incidents au cours desquels il a été interdit aux candidats de l’opposition d’organiser des événements pour mobiliser le soutien et la solidarité en ligne ;

B.

les médias sociaux et les médias locaux, tels que les radios communautaires et les journaux régionaux solidaires, pour communiquer avec les citoyens dans les zones où ils ne peuvent pas se rendre physiquement ; et

C.

la diffusion de messages clés de l’opposition par l’intermédiaire des structures et des réseaux du parti qui ont été développés avant la campagne.

Comment réagir efficacement aux restrictions de campagne :

  • Utilisez des preuves, parmi lesquelles, si possible, des séquences vidéo, pour informer les citoyens, les observateurs et la communauté internationale des restrictions imposées à l’opposition et des raisons pour lesquelles les rassemblements et les réunions ont été annulés.
  • Élaborez des messages ciblés pour ces régions afin qu’elles ne se sentent pas exclues de la campagne, en soulignant les préoccupations locales et l’engagement de l’opposition à dialoguer avec les citoyens et les dirigeants de ces régions.
  • Utilisez les plateformes de médias sociaux, les radios communautaires et les structures existantes des partis pour faire passer le message, en faisant du porte-à-porte si possible – en combinant les contacts personnels et les messages des dirigeants de l’opposition sur les médias sociaux, il est possible de parvenir à un impact particulièrement significatif.

La combinaison de ces stratégies a été utilisée, par exemple, par la campagne de Hichilema lors des élections de 2021 en Zambie. Dans certains cas, le gouvernement a tenté de saper les déplacements de Hichilema en l'empêchant de louer des avions pour se rendre à certains endroits ou en faisant en sorte que les forces de sécurité bloquent le passage de son convoi.

La police bloque la campagne Hichilema

La police bloque la campagne de Hichilema le 29 juillet 2021. Photo : The Lusaka Times; voir l'article complet.

Durant certains de ces incidents, l’équipe de l’UPND a filmé Hichilema expliquant calmement et avec fermeté aux agents des forces de sécurité pourquoi il devait être autorisé à passer et le tort qu’ils causaient à la démocratie zambienne. Ces images ont ensuite été téléchargées sur les médias sociaux où, dans certains cas, elles ont fait le buzz. Cette démarche visait à atteindre trois objectifs. Premièrement, elle a permis d’expliquer aux partisans du parti et aux autres citoyens pourquoi leur région n’avait pas accueilli de rassemblement de l’opposition, ce qui a empêché le gouvernement de présenter l’absence de rassemblement comme une preuve du manque d’intérêt du parti UPND pour la région. Deuxièmement, le ton intelligent et raisonnable adopté par Hichilema, face aux raisons irrationnelles invoquées pour lui barrer la route, a renforcé sa réputation d’homme d’État, tout en sapant la légitimité du gouvernement. Troisièmement, l’intérêt généralisé pour les messages de l’UPND sur les médias sociaux a permis d’alerter les observateurs nationaux et internationaux sur les restrictions injustes auxquelles l’opposition a été confrontée pendant la campagne.

Parallèlement, les responsables de la campagne de l’UPND ont utilisé WhatsApp et d’autres plateformes pour faire passer des messages dans des zones où Hichilema ne pouvait pas se rendre lui-même. La combinaison de ce type de messages avec des stratégies "traditionnelles", telles que le porte-à-porte dans les quartiers susceptibles d’être favorables à l’opposition, peut s’avérer particulièrement efficace. Étant donné que de nombreuses personnes ne voient pas les messages WhatsApp et Twitter, et que les citoyens apprécient particulièrement les candidats qui sont accessibles et faciles à approcher, comme nous l’avons vu plus haut, il est extrêmement utile de renforcer les campagnes régionales par des contacts personnels sur le terrain.

Comment truquer une élection

Les autocrates intelligents ne truquent pas le jour de l’élection – c’est pour les amateurs. Les experts manipulent les élections longtemps à l’avance, à l’abri des regards des médias internationaux et des observateurs électoraux. Deux des moyens les plus efficaces d’y parvenir sont le charcutage électoral et la suppression des électeurs. Le charcutage électoral est le processus qui consiste à manipuler le découpage des circonscriptions électorales de manière à ce que le parti au pouvoir obtienne plus de sièges pour le même nombre de voix. La suppression d’électeurs désigne l’utilisation de diverses stratégies visant à empêcher les électeurs d’une certaine identité ou affiliation à un parti de s’inscrire sur les listes électorales et/ou d’être en mesure de voter. 

Ces stratégies sont particulièrement efficaces parce qu’elles passent inaperçues et sont rarement à l’origine de grandes controverses électorales. La preuve en est qu’elles sont largement utilisées, même dans les démocraties bien établies. Un des tout derniers rapports du Brennan Center for Justice a révélé qu’aux États-Unis, 29 États ont adopté en tout 94 lois électorales restrictives au cours des dix dernières années.12 Dans de nombreux cas, ces nouvelles lois ont eu pour effet de réduire la probabilité que les électeurs non blancs se rendent aux urnes dans les États contrôlés par le parti républicain.

Le fossé de participation raciale

La motivation derrière ces changements est donc claire :

ils visent à empêcher les groupes susceptibles de voter pour le parti démocrate de se rendre aux urnes.

En même temps, il y a un charcutage électoral généralisé par les républicains et les démocrates cherchant à redessiner les limites des circonscriptions électorales de manière à obtenir davantage de voix. Ce processus fausse la carte électorale et a également un effet partisan, conférant aux républicains entre 10 et 20 sièges qu’ils n’auraient pas remportés en d’autres circonstances.

Le fait que ces pratiques soient courantes et façonnent les résultats électoraux dans les ‘démocraties établies’ montre à quel point il est important pour les partis d'opposition et les dirigeants de trouver des moyens de les contester.

Remporter la victoire implique de planifier à l'avance :

  • Mettez en place une unité chargée d’aider les partisans à obtenir une carte d’identité nationale (si nécessaire) et à s’inscrire sur les listes électorales.
  • Renforcez la capacité à recueillir des preuves de pratiques d’inscription non équitables, notamment lors de l’inscription des électeurs, qui est moins susceptible d’être surveillée par les médias et les observateurs.
  • Incitez les bailleurs internationaux et la Commission électorale à introduire la technologie biométrique numérique pour l’inscription des électeurs.

Exemple de pays

Flag

Ouganda

Comment les élections en Ouganda ont été truquées et comment ce truquage a évolué au fil du temps

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Charcutage électoral, manipulation des listes électorales et suppression des électeurs

La manipulation des registres électoraux et la suppression des électeurs tendent à impliquer sept stratégies principales visant à maximiser le nombre d'électeurs du parti au pouvoir sur les listes et exclure les partisans de l'opposition.

Illustration de truquage électoral

Illustration du charcutage électoral. Illustration : Brennan Centre

Premièrement,

implantez davantage de centres d’inscription et consacrez plus de temps et de ressources à l’inscription des électeurs dans les bastions connus du parti au pouvoir plutôt que dans les régions où se trouve l’opposition.

Deuxièmement,

recourir à la violence et à l’intimidation pour semer la peur au sein des communautés de l’opposition et réduire la probabilité qu’elles s’inscrivent, et/ou déplacer les partisans de l’opposition afin qu’ils n’aient pas les documents nécessaires pour s’inscrire.

Troisièmement,

ne pas traiter les demandes de cartes d’identité nationales ou de documents similaires nécessaires (dans de nombreux pays, mais pas tous) pour s’inscrire sur les listes électorales et provenant des bastions de l’opposition.

Quatrièmement,

manipuler les listes électorales pour exclure les électeurs de certaines régions ou de certains milieux.

Cinquièmement,

maintenir les électeurs décédés sur les listes électorales afin que les agents du parti au pouvoir puissent voter en leur nom.

Sixièmement,

refuser aux groupes de la société civile le droit de mener des campagnes d’inscription sur les listes électorales et des projets d’éducation des électeurs. Septièmement, refuser aux partis d’opposition, aux groupes de la société civile et aux observateurs électoraux l’accès aux listes électorales pour ne pas leur permettre de les vérifier en profondeur et d’identifier les erreurs.

Il arrive parfois que les sept stratégies susmentionnées soient toutes appliquées.

Une telle combinaison peut conduire à des listes électorales démesurément gonflées qui sous-représentent sensiblement certains groupes et certaines sociétés, notamment les jeunes électeurs, qui sont généralement moins susceptibles de disposer des documents nécessaires pour s’inscrire parce qu’ils viennent tout juste d’atteindre l’âge de la majorité. Les partis de l’opposition qui espèrent s’appuyer sur le « dividende de la jeunesse » doivent donc prendre des mesures pour s’assurer que les jeunes puissent effectivement s’inscrire sur les listes électorales. Parallèlement, la présence de nombreux citoyens décédés sur les listes électorales facilite le « vote fantôme », car les militants du parti au pouvoir et les responsables électoraux cooptés peuvent déposer de faux bulletins de vote au nom de ces personnes, sachant qu’elles ne se présenteront pas elles-mêmes pour voter. Cette stratégie est particulièrement efficace, car elle permet au gouvernement de bourrer les urnes sans jamais obtenir un taux de participation supérieur à 100 %. 

Électeurs à un bureau de vote

Des électeurs dans un bureau de vote en Ouganda. Photo : Flickr/Commonwealth Secretariat (CC BY-NC 2.0)

C’est une stratégie que le Président Yoweri Museveni a souvent utilisée en Ouganda. Lors des élections générales de 2016, 43 bureaux de vote dans le district de Kiruhura, qui fait partie de ses terres de prédilection, ont été le théâtre d’un événement étonnant: absolument tout le monde a voté, et...

et tous autant qu’ils sont, ils ont voté pour Museveni. Aucun bulletin n’a été annulé et pas une seule personne ne s’est trouvée trop malade pour se rendre aux urnes.

La vérité, bien sûr, est que les responsables électoraux et ceux du parti au pouvoir s’étaient entendus pour ajouter des votes au nom de ceux qui ne s’étaient pas présentés, et que des bulletins « interprétés » qui auraient dû être rejetés ont été comptabilisés comme des votes en faveur de Museveni. De ce fait, le Président a reçu 100 % des voix pour un taux de participation de 100 %. Même s’il est évident pour tout le monde que cette élection a été manipulée, le taux de participation n’ayant jamais dépassé 100 %, cela n’a pas été considéré comme un délit électoral et l’affaire n’a pas attiré autant d’attention.

Pour ce qui est du charcutage électoral, cela prend généralement la forme d’une augmentation du nombre de sièges législatifs dans les fiefs du gouvernement plutôt que dans ceux de l’opposition. Cela va à l’encontre des meilleures pratiques internationales, selon lesquelles les frontières doivent être tracées de manière à ce que chaque circonscription compte à peu près le même nombre d’habitants, une fois les éléments tels que les composantes naturelles (rivières et montagnes) et la composition d’autres unités administratives prises en compte. Dans de nombreux pays, cela se traduit par des répartitions régionales distinctes des sièges. Par exemple, sachant que les partis de l’opposition bénéficient souvent d’un plus grand soutien dans les zones urbaines, lesquelles ont un meilleur accès à l’information et sont plus difficiles à contrôler pour les gouvernements, ces derniers créent délibérément plus de sièges législatifs qu’il ne devrait y en avoir dans les zones rurales, et en créent moins dans les zones urbaines. Dans les systèmes politiques parlementaires, cette méthode peut être utilisée pour empêcher les gouvernements de perdre le pouvoir, car c’est le parti majoritaire au Parlement qui élit le Premier ministre. 

Exemple de charcutage électoral illustré dans un groupe de districts

Dans les systèmes présidentiels, le charcutage électoral ne peut pas déterminer qui dirige le pays car il s'applique aux élections basées sur les circonscriptions, telles que les élections des parlementaires et des conseillers municipaux, mais il est néanmoins important car il peut être utilisé pour saper le contrôle législatif et permettre au gouvernement d'obtenir un une majorité suffisante pour modifier la constitution.

La pratique du charcutage électoral est parfaitement illustrée par le cas du Zimbabwe. À la veille des élections de 2008, un rapport de délimitation prévoyait de redessiner la carte électorale en augmentant le nombre de sièges qui passerait de 120 à 210. La grande majorité des nouveaux sièges étaient situés dans des zones rurales, alors que le Zimbabwe compte de grandes villes et une population urbaine de plusieurs millions d'habitants. Selon Ian Makone, qui a participé à la campagne du Movement for Democratic Change (Mouvement pour le changement démocratique) lors de cette élection, « notre direction des opérations électorales a établi que sur les 210 circonscriptions de l'Assemblée nationale, 143 sont des circonscriptions rurales, et seulement 67 des circonscriptions urbaines et périurbaines. Techniquement parlant, le ZANU-PF dispose donc déjà de la majorité cruciale des deux tiers à la Chambre basse avant même qu'un seul vote ne soit exprimé ».13

210 total constituencies in the House of Assembly = 143 rural constituencies and 67 urban constituencies

Il est très difficile de répondre efficacement à ces stratégies. Parce qu'elles sont plus techniques et mises en œuvre bien avant les élections, elles ont tendance à attirer moins l'attention des médias et de la communauté internationale. Elles sont également moins médiatisées, et il peut donc être plus difficile de mobiliser les citoyens contre elles. Une autre difficulté est qu'il peut être dangereux de trop insister sur le trucage lors de la campagne électorale, car cela peut démoraliser les partisans et leur donner l'impression qu'il ne sert à rien de voter si l'élection est déjà truquée. Il est donc particulièrement important de cibler les messages, en mettant l'accent sur le trucage auprès des observateurs électoraux, de la Commission électorale et des bailleurs internationaux, mais en insistant sur le fait qu'une action efficace des partisans et des militants du parti aboutira à la victoire lorsqu'ils s'adressent aux médias nationaux et aux partisans du parti.

Comment réagir efficacement à la manipulation des listes électorales et au charcutage des circonscriptions :

  • Encouragez un groupe indépendant de la société civile et/ou des chercheurs à rédiger un rapport sur le redécoupage des circonscriptions, son équité et son impact probable sur le processus électoral.
  • Exigez le droit de contrôler et de vérifier les listes électorales bien avant le jour du scrutin.
  • Conduisez des campagnes en continu pour vous assurer que les partisans de l'opposition disposent des pièces d'identité nécessaires et sont inscrits sur les listes électorales.
  • Exposez et signalez clairement et de manière convaincante à la Commission électorale et aux observateurs électoraux le manque d’impartialité du système avant le jour du scrutin.
  • Veillez à ne pas communiquer un message pouvant donner l’impression que l'élection est déjà perdue/ne peut être gagnée, car cela peut démoraliser les partisans et réduire la participation – insistez plutôt sur la manière dont le parti et ses partisans s’efforcent de surmonter les défis rencontrés.

Bien qu'il puisse être particulièrement difficile d'assurer un changement positif dans ce domaine, des améliorations notables ont été observées dans la qualité des listes électorales des dernières élections de nombreux pays, même si cela ne s'est pas toujours traduit par la victoire de l'opposition. L'introduction de l'enregistrement biométrique des électeurs s'est avérée très efficace pour supprimer les électeurs décédés des listes électorales.

Au Nigéria, par exemple, « l’introduction de l’enregistrement biométrique des électeurs, accompagnée de cartes d’électeur permanentes biométriques, a permis d’éliminer jusqu’à 10 millions d’inscriptions illégitimes des listes électorales, ouvrant ainsi la voie à des élections de meilleure qualité et, en fin de compte, a facilité le transfert du pouvoir en 2015 ».14 Aux yeux du groupe d’observateurs du Commonwealth, « l’introduction de cartes d’électeur permanentes biométriques est, à notre avis, un facteur majeur de renforcement de l’intégrité du processus électoral dans la mesure où la carte a permis de s’assurer que seuls les électeurs éligibles pouvaient voter le jour du scrutin ».15 Ceci, associé à la formation d’une forte coalition d’opposition et les piètres performances du Président Goodluck Jonathan, a abouti à la première victoire de l’opposition depuis la réintroduction du multipartisme en 1999.

Identification biométrique par empreinte digitale

Un agent électoral scanne le pouce d’un électeur à l’aide d’un système biométrique dans un bureau de vote à Lagos le 28 mars 2015. Photo : EMMANUEL AREWA/AFP via Getty Images

La réduction du nombre d’électeurs décédés sur les listes électorales n’est toutefois que la première mesure que les partis d’opposition doivent préconiser. Il est également essentiel de s’assurer qu’une fois la liste électorale établie, elle fait l’objet d’un audit complet. Les partis au pouvoir cherchent généralement à empêcher cela, mais il arrive qu’ils acceptent un processus d’audit comme partie intégrante des réformes pour tenter de légitimer à nouveau le système politique après une crise, ou parce qu’ils ne comprennent pas pleinement l’importance de ce qui semble être un processus aride et technocratique. Au lendemain des violences perpétrées au Kenya entre 2007 et 2008, le nouveau fichier électoral – généré par le biais de technologies biométriques – a fait l’objet d’un audit indépendant par KPMG et a également été mis à la disposition des groupes de la société civile pour qu’ils puissent le vérifier.

La meilleure pratique à cet égard est de tester la liste de plusieurs manières :

Un

Effectuez un test pour déterminer le nombre de doublons et si des personnes sont enregistrées alors qu’elles ne devraient pas l’être (par exemple, parce qu’elles sont trop jeunes ou qu’elles ne sont pas liées à une adresse spécifique).

Deux

Prélevez un échantillon de la liste (par exemple, 1 200 entrées sur la liste) et recherchez ensuite ces personnes pour vous assurer qu’il s’agit bien d’électeurs et que leurs coordonnées ont été correctement saisies.

Trois

Prélevez un échantillon de l’électorat (par exemple, 1 200 personnes qui peuvent prouver qu’elles ont suivi le processus d’inscription) et assurez-vous qu’elles sont correctement inscrites dans le fichier électoral.

Le recours aux différentes variantes de ces tests a entraîné une amélioration considérable des listes électorales dans des pays tels que le Kenya et le Zimbabwe. Bien que les abus multiples que connaissent le Zimbabwe soient une indication du maintien au pouvoir de la ZANU-PF, le Kenya a connu son deuxième transfert du pouvoir en 2022, en partie grâce à l’amélioration de l’équité de son système électoral.

Il est toutefois important de noter que le simple fait d’effectuer les tests ne suffit pas à améliorer le fichier électoral lui-même - pour cela, il faut que les observations formulées se traduisent en actes, par exemple en supprimant les doublons dans les inscriptions.

En ce qui concerne la suppression d’électeurs, l’une des choses les plus importantes que les partis d’opposition puissent faire est de rester constamment investis :

A

s’assurer que leurs partisans disposent des pièces d’identité nationales appropriées ; et

B

s’assurer que leurs partisans s’inscrivent sur les listes électorales le plus tôt possible au cours du cycle électoral.

À cet effet, une méthode efficace consiste à diviser les zones connues pour leur soutien à l’opposition en plusieurs rues ou lotissements, puis à les répartir entre les militants du parti, afin qu’ils fassent du porte-à-porte et proposent aux citoyens de les transporter (par exemple, dans leur voiture ou dans un bus) jusqu’au centre d’inscription. Une stratégie similaire devrait être utilisée pour mobiliser les électeurs au moment même des élections, et ainsi augmenter considérablement le taux de participation.

Affiche

Affiche pour des trajets gratuits pour voter à l'avance

Exemple de pays

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Cameroon

La longévité au pouvoir de Paul Biya et ses conséquences pour le Cameroun

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Comment truquer une élection

Lorsque les gouvernements autoritaires sont impopulaires, les élections sont souvent l'occasion d'une forte manipulation du processus de vote et du décompte des voix. Elles se divisent généralement en deux grandes catégories.

Premièrement,

les stratégies visent à affaiblir le vote de l'opposition. Cela peut inclure des efforts pour éloigner les électeurs des bureaux de vote dans les bastions de l'opposition, tels que la violence ou la perturbation des voies de communication, des tentatives d'intimidation des électeurs à l'intérieur des bureaux de vote, notamment par une forte présence militaire, et des tentatives de compromettre le secret du scrutin.

Deuxièmement,

lorsque cela ne fonctionne pas et que les gouvernements semblent être en passe d'être vaincus, on assiste également à un ensemble de méthodes visant à manipuler le décompte des voix lui-même, notamment en brûlant ou en supprimant les bulletins de vote de l'opposition, en bourrant les urnes et en procédant à des erreurs délibérées dans le décompte des voix. 

Le moyen le plus efficace de détecter les manipulations est de mettre en place une structure solide composée d'agents de partis qui peuvent surveiller le déroulement du scrutin, du bureau de vote jusqu'aux instances nationales. Cette démarche est extrêmement coûteuse et difficile sur le plan logistique. Au moins deux agents de parti sont nécessaires par bureau de vote. Dans un pays comme le Nigéria, qui compte près de 180 000 bureaux de vote, cela signifie qu'il faut recruter, former et payer 360 000 personnes. Un autre problème est l'ingérence gouvernementale. Les gouvernements veulent généralement éviter une fraude électorale flagrante, car elle est plus susceptible d'être condamnée et de déclencher des manifestations populaires. Cela signifie qu'ils s'engagent souvent dans des stratégies conçues pour coopter et/ou intimider les agents des partis d'opposition afin de les empêcher de recueillir des informations. Certains gouvernements ont également développé des stratégies ingénieuses au fil des ans pour tenter de masquer le trucage, comme la création de nouvelles applications de téléphonie mobile conçues pour donner l'impression que des méthodes modernes sont utilisées pour protéger le vote, alors qu'en réalité le système a été préprogrammé pour faire remporter la victoire au gouvernement.

Si les partis d'opposition ne réagissent pas efficacement à ces stratégies, ils finiront probablement par « perdre », même si tout le reste se passe pour le mieux. Dans la mise au point de ses stratégies de riposte, il est essentiel que l'opposition ne compte pas sur la technologie numérique utilisée dans le cadre du processus électoral pour effectuer le travail à sa place. La technologie numérique peut contribuer à protéger les élections, mais dans de nombreux cas, elle est mise en œuvre par des commissions électorales dont l'indépendance est pour le moins douteuse.

Les partis d'opposition devraient donc utiliser les téléphones mobiles et les technologies numériques les plus récentes pour coordonner leurs activités afin de recueillir leurs propres sources d'information et leurs propres résultats, au cas où les processus officiels et le matériel numérique seraient détournés. 

Remporter la victoire implique de planifier à l'avance :

  • Exigez que les résultats soient publiés au niveau du bureau de vote – c’est le point le plus important à prendre en compte lorsque l’on veut dénoncer le trucage d’une élection. 
  • Mettez en place une structure de parti efficace qui intègre le niveau du bureau de vote et facilite l’identification d’agents susceptibles de comprendre la localité de chaque bureau de vote.
  • Identifiez les principales menaces qui pèsent sur le processus électoral et les indicateurs que les agents des partis et d’autres personnes peuvent rechercher pour déterminer si ces menaces existent.
  • Mettez en place un système efficace et simple permettant une communication rapide entre les quartiers généraux des partis et les bureaux de vote.
  • Veillez toujours à ce que les structures des partis et les stratégies de surveillance puissent fonctionner « manuellement » afin de les protéger contre les coupures d’Internet.
  • Mettez en place une équipe d’experts juridiques chargés d’élaborer les plaintes et les pétitions électorales en amont de la campagne.

Atteintes dans les bureaux de vote

Au cours des cinq dernières années, il y a eu une augmentation significative des efforts pour faire en sorte que les électeurs se sentent en insécurité dans les bureaux de vote. Cela a inclus l'installation de caméras vidéo dans les bureaux de vote en Russie, le retournement des isoloirs pour qu'ils soient visibles par les agents du parti au Zimbabwe, et la mise en place d'une présence sécuritaire importante ou d'un groupe de partisans du parti au pouvoir près de l'entrée en Ouganda.

La police ougandaise au bureau de vote

Des policiers ougandais sont assis sur un camion dans un bureau de vote à Magere, en Ouganda, le 14 janvier 2021. Les Ougandais ont commencé à voter dans une élection tendue le 14 janvier 2021 sous haute sécurité et avec une coupure d'Internet, alors que le leader vétéran Yoweri Museveni brigue un sixième mandat contre un ancien pop star ayant la moitié de son âge. Internet a été coupé à la veille du vote, certains endroits du pays signalant des perturbations totales ou des ralentissements significatifs, après l'une des campagnes électorales les plus violentes de ces dernières années. Photo : SUMY SADURNI/AFP via Getty Images

Dans certains pays moins riches, ces stratégies sont facilitées par le fait que les citoyens des zones rurales votent souvent à l'extérieur, remplissant leur bulletin de vote en se baissant et le déposant dans un seau, plutôt qu'en se tenant derrière un isoloir dans un bureau de vote physique. Le contrôle rigoureux de qui se présente pour voter par les chefs traditionnels et les responsables des partis au pouvoir est également courant dans les circonscriptions rurales. L'un des développements qui a facilité cela ces dernières années est la diminution de la taille des bureaux de vote, souvent motivée par le désir de réduire la longueur des files d'attente, mais cela permet également de voir plus facilement comment certains villages et groupes ont voté.

Dans ces conditions, il est plus facile de provoquer chez les électeurs la crainte de ne pas voter dans le secret. Ce point est important, car ils peuvent craindre des représailles et, s'ils ont reçu de l'argent des candidats du parti au pouvoir, ils peuvent ne pas se sentir en mesure de « voter en leur âme et conscience ». Il est donc essentiel que les partis d'opposition se mobilisent efficacement pour minimiser les abus dans les bureaux de vote. 

Comment répondre efficacement aux abus dans les bureaux de vote :

  • Veillez à ce que les agents des partis travaillent en binôme afin qu’il y ait toujours quelqu’un de présent et qu’ils soient moins susceptibles d’être cooptés par le parti au pouvoir.
  • Payez les agents des partis et fournissez-leur de la nourriture afin qu’ils se sentent valorisés et n’aient pas besoin de quitter le bureau de vote.
  • Testez la loyauté des agents des partis en leur faisant passer un examen qui pose des questions sur l'histoire, les politiques et les dirigeants du parti.
  • Formez les agents des partis pour qu’ils comprennent les règles électorales et la manière dont les élections pourraient être manipulées – il ne sert à rien d’avoir des agents de parti s’ils ne savent pas quand intervenir.
  • Veillez à ce que les agents des partis fassent partie d’un réseau centralisé afin que tout abus puisse être rapidement relayé dans le système et porté à la connaissance des observateurs électoraux, de la commission électorale et des bailleurs internationaux.
  • Élaborez un système pouvant fonctionner manuellement ou sur papier au cas où le gouvernement interrompt l’Internet.

Les partis d'opposition rencontrent souvent des difficultés pour réagir à ces stratégies, car il est difficile de recruter suffisamment d'agents de partis et parce qu'ils préfèrent investir de l'argent dans des rassemblements et des campagnes médiatiques plutôt que dans des agents de partis. C'est l'une des raisons pour lesquelles les partis d'opposition ne parviennent souvent pas à rassembler les preuves nécessaires pour pouvoir démontrer une manipulation électorale. Lorsque les partis d'opposition investissent dans de telles structures, les résultats sont souvent spectaculaires, car les agents peuvent immédiatement contester les pratiques qui posent problème, notamment les manœuvres des agents électoraux pour influencer les électeurs. Ce point est fondamental, car les observateurs électoraux ne sont pas autorisés à intervenir directement lors des élections - leur travail consiste à enregistrer les abus, mais ils n'ont pas le droit d'y mettre fin. D'où l'importance d'avoir sur place des agents du parti qui peuvent immédiatement se plaindre auprès de l'officier en charge et faire remonter les inquiétudes au niveau du parti et des responsables électoraux à l'échelon national.

Action électorale au Ghana en 2016

Action électorale au Ghana en 2016. Photo : Ambassade américaine au Ghana (PDM 1.0)

Par exemple, lors de l'élection au Ghana en 2016, le parti d'opposition New Patriotic Party (NPP) a utilisé ses vastes réseaux pour recruter des dizaines de milliers d'agents du parti. Le NPP a organisé des formations centralisées pour enseigner aux futurs agents les règles électorales et puis a testé les candidats potentiels sur des aspects clés du processus électoral, ainsi que sur leurs antécédents et leur loyauté envers le parti. Outre les mesures prises pour s'assurer de la loyauté et de l'aptitude des agents du parti, le NPP a mis en place des structures pour veiller à ce qu'ils puissent rester dans leur bureau de vote, par exemple en envoyant des membres du parti distribuer de la nourriture à bicyclette. Cela a permis aux agents du parti d'interpeller les responsables des bureaux de vote lorsqu'ils estimaient qu'une atmosphère d'intimidation avait été instaurée. Par exemple, lorsqu'un groupe de ‘fantassins’ du parti au pouvoir s'est formé autour de l'entrée et de la sortie d'un bureau de vote, des agents du parti d'opposition ont fait remarquer au personnel du bureau de vote que cette situation était contraire aux lignes directrices relatives au processus électoral. Bien que le bureau de vote se trouve dans un bastion du parti au pouvoir, les responsables du bureau se sont sentis obligés de demander au groupe de se disperser, car des observateurs nationaux et internationaux étaient présents et auraient enregistré l'incident si cette mesure n'avait pas été prise.16 Cela a permis non seulement aux partisans du NPP de voter plus sereinement mais aussi à l'opposition de produire un ensemble presque complet de résultats, ce qui a intensifié la pression sur la Commission électorale pour qu'elle annonce la défaite du parti au pouvoir.

Country Example

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Sierra Leone

Le déclin démocratique en Sierra Leone

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Fraude électorale

La façon exacte dont la fraude électorale est commise dépend du système électoral et du niveau de crainte du gouvernement face à la défaite. Dans les cas plus subtils, les gouvernements cherchent à gonfler artificiellement leur score au cours du processus de décompte, lorsque les votes des bureaux de vote sont agrégés au niveau national. C’est ce qui s’est produit au Kenya en 2007, lorsque des voix ont été ajoutées au décompte en faveur du Président Mwai Kibaki dans deux circonscriptions entre le moment où les résultats ont été comptés à ce niveau et le moment où ils ont été officiellement annoncés au niveau national, ce qui lui a donné juste assez de voix pour l’emporter.

Dans les cas les plus flagrants, comme en République démocratique du Congo en 2018 et en Biélorussie en 2020, les vrais résultats sont mis de côté et une version falsifiée est créée pour être présentée au public et à la communauté internationale. En RDC, par exemple, l’élection de 2018 a été remportée par le candidat de l’opposition Martin Fayulu. N’ayant pas réussi à manipuler véritablement le scrutin, et ayant été témoin de la piètre performance de son propre candidat au point qu’il était invraisemblable de prétendre qu’il avait gagné, le parti au pouvoir a monté un stratagème imaginatif pour conserver le contrôle politique. Le gouvernement a alors proposé au candidat de « l’opposition » arrivé en deuxième position, Félix Tshisekedi, un marché : le gouvernement truquerait l’élection en sa faveur en échange de garanties que les intérêts et l’influence des hauts responsables du gouvernement et du président sortant, Joseph Kabila, seraient protégés sous une administration Tshisekedi.

Martin Fayulu

DRC opposition candidate Martin Fayulu. Photo: Mclums (CC BY-SA 4.0)

Cela nécessitait la fascination généralisée des résultats. La RDC avait utilisé la technologie numérique lors des élections, de sorte que la commission électorale disposait d'un ensemble précis de chiffres, mais elle a inventé un nouvel ensemble de résultats totalement invraisemblables eu égard aux sondages d'opinion d'avant les élections. Cela était compris par ceux qui suivaient de près les élections, mais rien n'a été explicitement exposé. Bien que les groupes religieux aient fait un travail raisonnable d'observation domestique et aient recueilli des résultats démontrant que le résultat était frauduleux, ils étaient trop effrayés pour les divulguer – en partie parce que les principales puissances internationales semblaient prêtes à accepter le simulacre et qu'elles étaient donc peu susceptibles de prendre des mesures pour protéger les groupes civiques qui prendraient la parole. En conséquence, le décompte parallèle n'a jamais été publié et un résultat électoral entièrement vicié a été maintenu.

La façon dont le trucage se fait dépend également du degré de contrôle que le gouvernement exerce sur la commission électorale. Lorsque l'ensemble de la commission est allié au gouvernement, toutes les formes de fraude sont possibles. Mais lorsque le parti au pouvoir ne peut réellement contrôler la commission électorale que dans ses propres régions, les possibilités de trucage deviennent plus localisées. Dans ces pays, on observe parfois des manipulations plus flagrantes au niveau des bureaux de vote qu'au niveau du décompte national. Au Malawi et en Ouganda, par exemple, les élections ont souvent été manipulées au niveau des bureaux de vote, avec des votes ajoutés au score du président et du Tipp-Ex (liquide correcteur) utilisé pour ‘éliminer’ les votes en faveur des candidats de l'opposition. Un certain nombre de cas de votes multiples et de votes de mineurs ont également été enregistrés au cours de la dernière décennie, ainsi que le vote de citoyens de pays voisins. L'utilisation d'un logiciel de vérification numérique pour s'assurer que les électeurs sont bien inscrits sur les listes électorales – et qu'ils ne votent qu'une seule fois – peut aider à résoudre ces problèmes. Mais la technologie n'est pas une panacée, car il existe de nombreux exemples où ce matériel est tombé en panne à des moments cruciaux des élections, et où il s'est souvent avéré qu'un grand nombre de voix avaient été exprimées en faveur du parti au pouvoir. Lors des élections générales de 2013 au Kenya, par exemple, les observateurs nationaux ont constaté que le matériel de vérification numérique était tombé en panne au cours de la journée électorale dans plus de la moitié des bureaux de vote.

Feuille de résultats des élections

Une fiche de résultats du district de Chiradzulu dans la région sud du pays montre des signes de correcteur liquide. Photo : Commission électorale du Malawi

Comment réagir efficacement à la fraude électorale :

  • Utilisez WhatsApp ou développez une application que les agents des partis peuvent utiliser pour transmettre les résultats et les copies des formulaires de résultats à un système central, afin qu’ils puissent être facilement comptabilisés pour créer un comptage parallèle des votes.
  • Évitez de faire des affirmations extravagantes sur le résultat de votre vote, surtout à un stade précoce du processus, car cela pourrait nuire à votre crédibilité.
  • Veillez à ce qu’une copie de toutes les données collectées soit sauvegardée en toute sécurité dans le Cloud ou à l’extérieur du pays, afin qu’elle puisse être facilement accessible et partagée par les représentants du parti à l’extérieur du pays si les agents du parti sont pris pour cible ou s’il y a une coupure d’Internet.
  • Donnez aux bailleurs internationaux, aux observateurs et aux membres les plus bienveillants de la Commission électorale des mises à jour ciblées, crédibles et étayées du comptage parallèle et des preuves de fraude électorale, notamment par des briefings privés, pour que le gouvernement et la Commission électorale payent un prix fort s’ils publient des résultats frauduleux.
  • Commencez à compiler les pétitions électorales pour les postes clés bien avant le jour du scrutin, car il n’y a pas assez de temps pour le faire soigneusement une fois que les suffrages ont été exprimés. 

L'exemple de la RDC illustre plusieurs points qu'il est important de garder à l'esprit lorsqu'on réfléchit à la façon de résister à la fraude électorale. Premièrement, ni la technologie numérique, ni la présence d'observateurs internationaux et de contrôleurs nationaux ne protègent efficacement le vote. Les partis d'opposition doivent donc le faire eux-mêmes, c'est-à-dire utiliser le système d'agents de parti décrit ci-dessus pour collecter un ensemble complet de résultats dans chaque bureau de vote et prendre des photos des formulaires de résultats pour prouver qu'ils sont bien réels. Toutefois, cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'est pas utile d'encourager l'adoption de la technologie numérique - la vérification biométrique des électeurs dans les bureaux de vote peut réduire le nombre d'abus. Mais il est très dangereux de s'appuyer sur une technologie qui est sous le contrôle d'agents électoraux corrompus le jour de l'élection, lorsque la pression que subissent ces derniers a atteint son paroxysme et qu'il n'y a pratiquement pas assez de temps pour rectifier d'éventuelles erreurs.

Il faut donc que les partis d'opposition développent leur propre technologie pour permettre l'enregistrement et le partage d'un ensemble de résultats aussi complet que possible.

Cette stratégie a bien fonctionné pour les partis d'opposition au Ghana en 2016, comme mentionné ci-dessus, et en Zambie en 2021. L'un des avantages du comptage parallèle de votes par voie numérique est qu'il devient plus facile de sauvegarder une copie des résultats et des preuves qui les accompagnent dans le Cloud et de les transmettre aux responsables des partis dans d'autres pays. C'est particulièrement important, car, dans le cas contraire, le parti au pouvoir peut envoyer les forces de sécurité faire une descente dans les bureaux des partis d'opposition et des observateurs nationaux et détruire leur matériel, comme cela s'est produit au Zimbabwe en 2023.

Il est essentiel de garder à l'esprit que si la technologie numérique peut rendre le travail de sauvegarde du vote plus rapide et plus facile, ce n'est pas la technologie qui fait le gros du travail dans ces cas. Les applications de téléphonie mobile sont des aides importantes, mais seulement si les partis d'opposition ont des agents et représentants à tous les niveaux du processus de comptage et de décompte des voix.

La lutte contre la fraude électorale est donc autant une question de formation de structures de parti efficaces et de recrutement de militants aujourd'hui qu'avant l'avènement de la technologie numérique.

Il est également crucial de s'assurer que les processus numériques disposent d'une sauvegarde manuelle en cas où le gouvernement décide de couper l'accès à Internet, ce qui est de plus en plus fréquent dans certaines parties du monde comme l'Afrique subsaharienne. Lors des élections de 2021 en Zambie, par exemple, l'UPND a utilisé un processus de sauvegarde manuel, ce qui leur a permis de rassembler un ensemble complet de données même si leurs processus en ligne avaient été sabotés.

Cependant, rien de tout cela n'est possible si les résultats ne sont pas publiés au niveau des bureaux de vote. En l'absence de résultats à des niveaux inférieurs, il n'est pas possible de créer un comptage parallèle pour comparer avec les résultats officiels au niveau national présentés par la Commission électorale. Il est donc important d'insister autant que possible pour que les résultats soient publiés au niveau des bureaux de vote, avec des copies des formulaires de résultats signés affichés sur le mur et remis aux agents des partis. Toute tentative du gouvernement de supprimer cette disposition avant une élection doit être rejetée avec la plus grande fermeté, car cela prouve très clairement que le régime envisage de commettre des fraudes électorales.

Un dernier point fondamental à relever est que la plupart des constitutions prévoient un délai très court pour le dépôt des plaintes électorales - parfois à peine une ou deux semaines. Cela signifie qu'il peut être extrêmement difficile de rassembler les documents nécessaires et de constituer un dossier solide. Les partis d'opposition devraient donc demander à leurs équipes juridiques de commencer à préparer une pétition pour les contestations les plus importantes bien avant le jour du scrutin. Face à un gouvernement autoritaire, il faut toujours partir du principe que l'élection sera manipulée et qu'il faudra donc la contester juridiquement. En commençant suffisamment tôt, il y a beaucoup plus de chances pour que les pétitions introduites portent leurs fruits. Même dans les cas où les partis d'opposition ont perdu confiance dans la capacité des tribunaux à rendre la justice, il est toujours utile de rédiger ce document, car il peut jouer un rôle essentiel auprès des observateurs, des groupes de la société civile, des citoyens et de la communauté internationale en les persuadant qu'une élection a été entachée d'irrégularités, en renforçant le soutien à la réforme et en augmentant la perspective d'élections moins manipulées à l'avenir.

1 ‘Le Sénégal dissout le parti du leader de l'opposition Sonko’, Al Jazeera, 31 juillet 2023, https://www.aljazeera.com/news/2023/7/31/senegal-dissolves-party-of-opposition-leader-sonko.

2 Nic Cheeseman et Brian Klaas,Comment truquer une élection. New Haven : Yale University Press, 2018.

3  Ali Riaz, ‘Ce que l'élection largement boycottée du Bangladesh révèle pour son avenir’, Atlantic Council, 18 janvier 2024, https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/what-bangladeshs-widely-boycotted-election-reveals-about-its-future/.

4 Matthew Frankel, ‘Menacer mais participer : pourquoi les boycotts électoraux sont une mauvaise idée’, Foreign Policy at Brookings, Policy Paper Number 19, mars 2010, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/02_election_boycotts_frankel.pdf.

5 Mieke Löhrer, ‘Accès des LGBTQ+ au pouvoir politique’, V-Dem, 27 juin 2024, https://v-dem.net/gow.html.

6 Voir https://datareportal.com/reports/digital-2024-deep-dive-the-state-of-internet-adoption.

7 ‘Pourquoi l'élection de l'Inde est la plus coûteuse du monde’, The Economist, 11 mai 2024, https://www.economist.com/the-economist-explains/2024/05/11/why-indias-election-is-the-most-expensive-in-the-world.

8 Portia Roelofs, ‘Au-delà de la politique programmatique contre patrimoniale: conceptions contestées de la distribution légitime au Nigeria’, Journal of Modern African Studies 57(3): 415–436, 2019.

9 Cheeseman et Klaas, Comment truquer une élection.

10 Cheeseman et Klaas, Comment truquer une élection.

11 Nic Cheeseman, ‘Les élections africaines comme vecteurs de changement’, Journal of Democracy 21(4): 139–153, 2010, https://www.journalofdemocracy.org/articles/african-elections-as-vehicles-for-change/.

12 ‘Résumé des lois sur le vote : juin 2023’, Brennan Center for Justice, 14 juin 2023, https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/voting-laws-roundup-june-2023.

13 Cheeseman et Klaas, Comment truquer une élection.

14 Cheeseman et Klaas, Comment truquer une élection.

15 Cheeseman et Klaas, Comment truquer une élection.

16 Nic Cheeseman, Observation personnelle, Ho, Ghana, 2016.

Exemples de Pays

Exemple de pays

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Venezuela

Le pouvoir du peuple au Venezuela

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Zimbabwe

Le trucage des élections au Zimbabwe

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Ouganda

Le compte de Bobi Wine

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Exemple de pays

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Angola

L’expérience angolaise

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Ouganda

Comment les élections en Ouganda ont été truquées et comment ce truquage a évolué au fil du temps

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Cameroon

La longévité au pouvoir de Paul Biya et ses conséquences pour le Cameroun

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Country Example

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Sierra Leone

Le déclin démocratique en Sierra Leone

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Partie 2

Comment remporter une élection


Comme le disait l’analyste politique Jeff Greenfield, « la paranoïa n’existe pas en politique, parce qu’ils vous ont vraiment dans le collimateur ». 1 Il s’agit là d’un élément essentiel pour comprendre les élections en Afrique, où tout le spectre du trucage électoral, de la violence et de l’intimidation se manifeste lorsque les citoyens sont invités à voter.

Les expériences sont très différentes d’un pays à l’autre, et il convient donc de placer les conseils sur comment procéder lors des élections dans leur contexte. En Ouganda, par exemple, les forces de sécurité sont utilisées pour tuer, intimider et harceler l’opposition avant, pendant et après le scrutin. Les médias sociaux sont également suspendus au profit de l’État, qui impose son contrôle sur les messages diffusés par les médias. Dans un tel climat, comme l’a expérimenté Robert Kyagulanyi Ssentamu, le dirigeant de la National Unity Platform (Plateforme de l’unité nationale), il faut faire preuve d’un courage et d’une conviction immenses pour faire campagne.

En Ouganda et en Angola, les dernières élections ont montré qu’il ne suffit pas d’obtenir une majorité, car le résultat peut être manipulé par l’État pour maintenir le parti au pouvoir. Des stratégies telles que la mobilisation du soutien international des diplomates et des organisations de défense des droits humains, le comptage parallèle des votes et l’attention constante des médias doivent être adoptées pour contrecarrer ce phénomène.

Dans d’autres pays comme la Zambie, le taux de participation élevé des électeurs et une victoire écrasante ont empêché les autorités de faire obstruction – voilà un autre enseignement très important.

Cette section cherche à énoncer les principes de base de la campagne électorale pour servir de guide aux dirigeants et aux partisans des partis qui attachent de l’importance à la démocratie et au caractère sacré du processus électoral. Elle évoque les expériences de pays où les partis et mouvements d’opposition ont réussi à s’imposer dans des contextes particulièrement difficiles.

Fixer des priorités et élaborer un plan de campagne

Bien qu’il soit contre-productif d’avoir des structures hyperbureaucratisées des partis, il est essentiel de disposer d’une équipe responsable de la gestion de la campagne, composée de hauts dirigeants et habilitée à prendre des décisions en ce qui concerne les manifestations, les discours, le placement des dirigeants lors d’événements, la publicité et les médias. Cette équipe de gestion de campagne doit avoir l’ancienneté nécessaire pour prendre des décisions rapides, en particulier lorsqu’il faut réagir à des manifestations de haut niveau, telles que des actes de répression.

L'équipe de gestion de la campagne doit être composée au minimum des personnes suivantes :

  • Le chef du parti ou la personne qu’il a désignée pour exercer le pouvoir exécutif ;
  • Le chef de l’unité consacrée à la couverture médiatique des élections du parti (voir ci-dessous) ;
  • L’avocat ou l’expert juridique interne du parti ;
  • Le représentant du parti au sein des structures de la commission électorale, s’il en existe ; et
  • Le coordinateur des manifestations du parti.

La présence d’un spécialiste en droit est essentielle, en particulier dans des contextes où les tribunaux pourraient être appelés à intervenir suite à la répression ou à une violation de la loi électorale prévue par la constitution, comme c’est souvent le cas lorsque des dirigeants autoritaires tentent de truquer les élections.

Cette équipe devrait se réunir tous les jours, voire deux fois par jour, à mesure que la date de l’élection approche, et recevoir des rapports de tous les membres.

Il faut privilégier les contributions brèves et percutantes et les décisions rapides.

Vous ne voulez pas que vos principaux acteurs passent des heures assis en réunion, alors qu’ils devraient être occupés à faire campagne.

La tâche principale de ce comité – bien avant les élections – est d’élaborer une stratégie de campagne claire et une feuille de route pour sa mise en œuvre. Le comité doit également élaborer le message clé du parti pour la campagne électorale et approuver le discours du parti (voir ci-dessous). 

L’élaboration d’un plan de campagne ne consiste pas simplement à s’asseoir dans une salle et à réfléchir à ce qu’il faut faire pendant les élections. Certes, le remue-méninges est utile et il est bon d’entendre tous les avis exprimés dans la salle, mais tout cela ne vaut rien sans une base solide de données.

Avant de concevoir une campagne, l’équipe de gestion doit faire un constat de la situation sur le terrain.

Questions essentielles pour le parti et pour ses opposants, notamment :

  • Quelle est la répartition géographique de la base de soutien ?
  • Quelle est la répartition démographique de la base de soutien ?
  • Quelles sont les « circonscriptions bancables » qui sont fidèles au parti ?
  • Quelles sont les « circonscriptions indécises » qui pourraient changer leur vote et passer d’un autre parti au vôtre ?
  • Où se situent ces électeurs indécis et qui sont-ils en termes démographiques ?
  • Quelles sont les principales préoccupations de la base de soutien bancable et des circonscriptions indécises ?

Avoir une identité et un message clairs est essentiel pour faire campagne et doit constituer la toute priorité au moment de l’élaboration d’un plan de campagne.

Chaque utilisation des ressources de la campagne – que ce soit sur les médias sociaux, dans les médias traditionnels et même sous forme d’affiches et de T-shirts – doit viser à atteindre des concentrations d’électeurs susceptibles d’être persuadés de voter pour vous. 

Il est important d’allouer judicieusement les denrées rares suivantes :

Temps

Il n’y a pas beaucoup d’heures dans une journée et les décisions relatives à l’endroit où les dirigeants font campagne doivent être prises de manière à avoir le maximum d’impact. C’est particulièrement vrai pour le chef de parti, qui est susceptible d’attirer plus de monde aux rassemblements.

Argent

La gestion de ressources financières souvent limitées exige un leadership fort. La façon dont les fonds doivent être levés, dépensés et comptabilisés est déterminante pour la réussite d’une campagne ciblée.

Espace média

La présence des dirigeants du parti sur les médias sociaux doit être renforcée et les campagnes doivent être menées agressivement par le biais de publications fréquentes. La publicité dans les médias traditionnels doit être assurée dans la mesure du possible.

Un message fort et clair est primordial. De même, une identité forte et claire est également fondamentale.

Quelle est la meilleure ligne de conduite pour communiquer ce que le parti représente et qui interpelle les électeurs? En général, il est préférable d’éviter les aspects négatifs (‘La fin de la répression’) et de se concentrer sur les aspects positifs (‘Un avenir sans répression’).

Exemples de slogans : « Un avenir sans répression » et « La fin de la répression »

Il existe une longue tradition de slogans électoraux et il est conseillé d'examiner comment les partis d'autres pays ont mené leur campagne avec succès.

Deux messages récemment véhiculés sur la scène politique américaine sortent du lot. Le slogan de Barack Obama, ‘Yes We Can (Oui, nous pouvons)’, évoquait la possibilité d'un changement après une longue période de domination républicaine. Le slogan de Donald Trump, ‘Make America Great Again (Redorons le blason des États-Unis)’ – emprunté à Ronald Reagan il y a plusieurs décennies – exprimait le désir des Américains de renverser le sentiment croissant que le pays était à la dérive et incapable de s'affirmer.

Exemples de slogans : « Yes We Can » et « Make America Great Again »

Bien qu’émanant de personnalités et d’agendas très différents, ces deux slogans ont plusieurs points communs. Ils sont à la fois positifs et pleins d’espoir, tournés vers l’avenir. Ils incluent tous deux l’électeur et le font participer à la campagne. Ils auraient été beaucoup plus faibles s’ils avaient été, par exemple, "Oui, je peux" ou "Je vais redorer le blason des États-Unis".

Ils sont également brefs et précis. Il convient de noter que le véritable slogan de campagne d’Obama était "Change We Can Believe In (Un changement auquel nous pouvons croire)", mais qu’il a rapidement été remplacé par le slogan "Yes We Can (Oui, nous pouvons)" utilisé sur les affiches. Le problème des slogans élaborés par des comités est qu’ils deviennent souvent longs et difficiles à manier, chaque parti voulant faire valoir son point de vue. Personne n’a jamais remporté une élection en utilisant une longue liste. Comprenez qu’un slogan électoral accrocheur ne constitue pas votre programme dans son intégralité, mais plutôt un message qui donne une idée précise de ce à quoi vous aspirez et qui est porteur d’espoir.

La décision la plus importante que vous aurez à prendre lorsque vous concevrez votre plan de campagne sera d’identifier les questions qui étayeront le message que vous transmettrez aux électeurs.

L’essentiel est de communiquer autour de sujets de préoccupation plutôt que de généraliser les positions de votre parti, car cela permet d’établir une interaction plus directe avec les électeurs et de parler de ce qu’ils vivent au quotidien.

Comment ces "sujets de préoccupation" sont-ils définis?

Les préoccupations surviennent lorsque des événements se produisent et ont un impact sur la vie des citoyens ordinaires. Il peut s’agir d’événements très médiatisés, tels qu’un acte de violence commis par les autorités chargées de la sécurité, ou d’événements moins médiatisés, tels que l’absence de mesures adéquates d’aide aux agriculteurs en cas de sécheresse.

Dans tous les cas, le parti doit être prêt, à l’avance, à saisir le sujet de préoccupation et à émettre des critiques, tout en proposant une solution immédiate et une position politique qui permettrait d’éviter que le problème ne se reproduise.

Il est essentiel que les chargés de communication des partis soient bien préparés à l’avance pour traiter rapidement les sujets de préoccupation au fur et à mesure qu’ils se présentent, afin de pouvoir introduire le point de vue du parti dans le débat public pendant qu’il est encore "à la une" dans les médias et sur les médias sociaux.

Réagir après que le débat national a commencé entraîne un faible impact

L’illustration ci-dessus montre comment les partis ne parviennent pas à dominer le débat national parce qu’ils réagissent aux événements et aux sujets de préoccupation après coup. Les médias sociaux ont entraîné une intensification de la rapidité avec laquelle les sujets de préoccupations sont exprimés dans le débat national, et réagir après coup avec des commentaires affaiblit l’impact des messages.

Être prêt avec des contacts et des messages vous met au centre de la conversation

En anticipant les sujets de préoccupation et en se préparant à l'avance, les partis peuvent se positionner comme les premiers dans le domaine public à travers la publication de messages sur les médias sociaux et des interventions dans les médias traditionnels. Cela leur permet de contribuer au débat national et de faire passer le message du parti. 

Le processus de préparation nécessite :

  • Une équipe au sein du parti qui se consacre à anticiper les sujets de préoccupation susceptibles d’être soulevés ;
  • D’étroites relations avec les journalistes et les rédacteurs en chef des médias traditionnels et avec les personnes influentes dans l’espace des médias sociaux ; et
  • La préparation à l’avance des contenus pour toutes les plateformes en vue de leur diffusion dans les médias.

Les scénarios ci-dessus s’appliquent lorsque des sujets de préoccupation se présentent dans des circonstances qui échappent au contrôle du parti concerné. S’il arrive souvent que des événements surviennent, il est naturellement préférable que le parti fixe l’agenda et soulève en premier les sujets de préoccupation prioritaires pour les électeurs. Cette démarche contribue grandement à parfaire le message du parti.

Exemple de pays

Flag

Sénégal

Encore un changement dans les urnes au Sénégal

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Créer un récit

À l’ère des médias sociaux, le récit est devenu plus important que jamais. Le récit est l’« histoire » qu’un parti raconte pour convaincre les électeurs du bien-fondé de son aspiration à gouverner. Il ne s’agit pas seulement de dire ce que vous ferez une fois au pouvoir, même si ce point est essentiel ; il s’agit de raconter comment vous êtes arrivé là où vous êtes aujourd’hui et comment vous allez aller de l’avant.

Un récit illustre comment votre parti se positionne par rapport à des questions contradictoires, sans pour autant les aborder de manière opportuniste, mais plutôt de manière cohérente et digne de confiance, et avec une approche harmonisée sur les questions clés.

Les électeurs sont beaucoup plus enclins à soutenir un parti avec un arc narratif fort, qui raconte avec conviction son histoire empreinte de dévouement, de résilience et de préparation par rapport à la gouvernance.

Un arc narratif doit comporter une série d’éléments à communiquer systématiquement sur toutes les plateformes:

  • L’histoire des «origines» : Dans le cas d’un parti, il s’agit de l’histoire de sa création. Cela peut également s’appliquer à un dirigeant, qui racontera pourquoi il est entré en politique. De nombreux partis d’opposition ont des origines claires, puisqu’ils ont été fondés pour lutter contre un système oppressif.
  • Un bilan de la lutte : Il s’agit de retracer l’histoire des campagnes du parti, des épreuves et des péripéties qu’il a traversées lorsqu’il s’est lancé dans la lutte pour créer une société libre. Cette section devrait inclure un compte rendu de la répression exercée par l’État et de la répression subie par les dirigeants. Cette partie du récit devrait évoquer le rôle des anciens dirigeants et des icônes de la lutte pour la démocratie qui sont associés au parti.
  • Un bilan des réussites : Cette section devrait présenter les réussites du parti, par exemple une augmentation de son soutien électoral contre toute attente ou encore le fait d’avoir gouverné dans des villes ou des provinces. 
  • Une perspective : À partir de ce qui précède, cette partie projette la manière dont le parti gouvernera, si possible en s’appuyant sur des exemples de ses précédentes expériences de gouvernance. Ce compte rendu doit être aussi précis que possible.

Un récit détaillé ou "une genèse du parti" devrait être rédigé sous la forme d'un document public accessible sur le site web du parti et sur d'autres plateformes publiques telles que Wikipedia. Ce récit détaillé devrait servir de base à la mise en récit à d'autres niveaux, y compris les articles d'opinion dans les médias traditionnels et les publications et vidéos sur les médias sociaux. Cela permet de relayer le récit du parti de manière cohérente, de veiller à la consolidation du message et à l'absence de contradictions.

Le récit, aussi important soit-il, doit être bien raconté pour avoir un impact.

Les récits ne sont pas racontés par des comités, mais par des individus, qui s'expriment à l'occasion d'un événement ou au cours d'une interview avec les médias. L'authenticité et la crédibilité du récit du parti dépendent de la manière dont ces personnes le comprennent et le véhiculent.

Voici quelques lignes directrices importantes :

  • Comprenez votre public : Une bonne présentation de votre histoire est capitale si vous voulez créer un lien avec votre public. Si vous vous adressez à un public avant un festival de musique, ce n’est pas le moment d’expliquer comment vous êtes parvenu(e) à votre politique fiscale. Ce genre d’occasion appelle à la détente.
  • Soyez vous-même : Les dirigeants politiques ressentent souvent le besoin de se mettre dans la peau d’un personnage public qui leur semble plus performant en termes de communication. Cette attitude risque de compromettre le message dans la mesure où ils ne sont plus que des politiciens en carton-pâte. Dans ce type de message, le parti ne peut pas faire de mal et personne n’a jamais commis d’erreurs ou de faux pas. Ce genre de message peut détourner l’attention des électeurs. Au contraire, soyez vous-même, soyez à l’aise avec qui vous êtes et exprimez-vous avec votre cœur. Pour cela, ajoutez des anecdotes personnelles, reconnaissez vos erreurs et ne manquez pas d’expliquer comment vous y avez remédié. Se montrer « vulnérable, authentique et sincère » est capital pour instaurer la confiance.2
  • Utilisez des métaphores : L’utilisation de métaphores – des expressions qui illustrent quelque chose à l’aide d’exemples identifiables – rend l’histoire plus percutante. Plutôt que de dire : « Cela fait plus de dix ans que l’opposition se bat pour la démocratie », vous pourriez dire : « Voilà des décennies que la marée démocratique monte et bientôt, les vagues du changement vont emporter l’ancien régime ».

Il est également important de reconnaître le point de vue opposé et les succès de ceux qui pourraient aujourd’hui être des adversaires dans la lutte pour la démocratie et la redevabilité. En Afrique du Sud, le parti de l’African National Congress (Congrès national africain) a obtenu la liberté politique en 1994, mais aujourd’hui, il plonge le pays dans le déclin économique, la corruption et l’anarchie. En Ouganda, le Président Yoweri Museveni a libéré le pays de la tyrannie en 1986, mais, maintenant qu’il est au pouvoir depuis quatre décennies, il impose sa propre tyrannie. Reconnaître le rôle de Nelson Mandela et de Museveni (à l’époque) n’affaiblit aucunement votre récit. Au contraire, cela y ajoute une certaine richesse et authenticité et élimine le piège de la propagande.

Exemple de pays

Flag

Kenya

Comment gagner correctement

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Utiliser efficacement les médias

Il convient d’élaborer une stratégie cohérente et détaillée pour traiter avec les médias afin de veiller à ce que le message du parti soit transmis avec efficacité au public à tout moment. 

Dans les sociétés soumises à une forte répression, il est probable que les médias nationaux soient contrôlés par l’État qui en détient directement la propriété ou applique des lois pour restreindre la liberté d’expression. Dans ces conditions, les médias sociaux deviennent l’outil le plus efficace à utiliser.

Dans les sociétés où il existe une certaine liberté d’expression, les plateformes traditionnelles, telles que la télévision et les journaux, devraient être utilisées parallèlement aux médias sociaux. 

Diagramme de Venn : Média traditionnel et médias sociaux

La première règle pour parvenir à mobiliser les médias est de mettre en place au sein du parti une unité média professionnelle et disciplinée, bien au fait du discours du parti, et composée de personnes aptes à intervenir auprès du public. Il est essentiel de bien choisir ces personnes, car il suffit d’une intervention négative ou d’un message erroné sur les médias sociaux pour causer des dégâts considérables. Ce n’est pas un endroit pour les personnes agressives et qui cherchent la confrontation.

Cette unité média devrait, pour simplifier, être composée de :

  • Une unité de commandement qui se réunit quotidiennement et prend des décisions en ce qui concerne les communiqués, les réponses et les interviews. Cette équipe devrait être composée d’un haut responsable du parti et d’un membre de chacune des équipes mentionnées ci-dessous.
  • Une équipe de surveillance qui recueille tous les commentaires sur le parti et ses dirigeants et soumet un rapport quotidien avant la réunion de commandement. Cette équipe peut également collecter des informations sur les adversaires et leurs propos et alerter l’unité en cas de fausses nouvelles dont le contenu doit être contesté.
  • Une équipe de rédaction qui produit des textes et les soumet à l’unité de commandement pour révision et diffusion. Ces textes doivent être produits en permanence à un rythme effréné en période de campagne électorale et peuvent aller d’une brève déclaration sur une question qui s’est posée à une annonce déterminante pour l’ordre du jour.
  • Un ou plusieurs porte-parole sont chargés d’échanger directement avec les médias, toujours à un rythme effréné et avec des contacts réguliers, de préférence par téléphone ou en personne. Ces personnes doivent être disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et répondre aux appels.
  • Une personne responsable des médias sociaux chargée de produire divers contenus, allant des billets aux vidéos, et de les faire circuler sur les médias sociaux, et de créer un réseau d’influenceurs.

Bien qu'une unité médiatique soit indispensable, il faut absolument que les dirigeants, quelle que soit leur appartenance politique, soient accessibles aux journalistes et répondent à leurs appels.

Établir des relations personnelles solides avec les journalistes au plus haut niveau est fondamental...

...et y donner suite en prenant leurs appels et en consacrant du temps pour vous entretenir avec eux est essentiel si vous souhaitez faire passer votre message convenablement. 

Associez les rédacteurs en chef, les rédacteurs de presse et les rédacteurs politiques à ce processus de prise de contact. Cela vaut également pour ceux qui s’opposent ouvertement à vous. Vous voulez que votre message soit transmis, mais vous voulez aussi que vos détracteurs modèrent leurs critiques.

Ainsi que le note Andrew Solomon : ‘Il est pratiquement impossible de détester quelqu’un dont on connaît l’histoire.’

Il est impératif que cette unité comprenne et maîtrise le cycle de l’information. Les journaux fonctionnent avec des délais. Ils terminent les premières pages au cours de la journée et laissent la couverture et peut-être une ou deux autres pages qu’ils terminent dans la soirée. À moins que vous ne soyez convaincu(e) que votre nouvelle fera la Une des journaux, il ne sert à rien de la soumettre à un(e) journaliste en fin de journée. Travailler avec les médias traditionnels implique de commencer sa journée tôt et de communiquer avec les journalistes et les salles de rédaction bien avant l’heure de bouclage, faute de quoi vous perdrez votre temps.

Cette carte des délais des médias traditionnels devrait être placée en évidence sur le mur du bureau de l’unité média. Les noms et numéros de téléphone des journalistes les plus importants et, surtout, de tous les rédacteurs en chef doivent également y figurer.

En cas d'urgence en fin de journée, c’est le rédacteur en chef et, parfois, le rédacteur en chef de nuit qui sera votre premier interlocuteur, car vos correspondants journalistes ont peut-être déjà terminé leur journée.

Conquérir l'espace numérique

La sphère des médias sociaux, évoquée dans la section précédente, n’est qu’une composante de l’espace numérique où s’opposent vivement les candidats aux élections.

Des acteurs sans scrupules et des représentants de régimes autoritaires se servent de fausses nouvelles, de contenus générés par l’IA et d’attaques de serveurs pour discréditer leurs adversaires, et ces pratiques doivent être détectées et déjouées le plus rapidement possible.

L’essentiel de la course à l’espace numérique se déroule sur les plateformes des médias numériques. Même si les « anciens médias » – les journaux imprimés, la télévision et la radio – sont importants, car ils sont encore considérés par beaucoup comme une source d’information fiable, les médias sociaux sont tout aussi importants.

Parvenir à toucher un public plus jeune, ce qui est vital pour ceux qui se dressent contre un système bien établi, est essentiel pour l’éligibilité d’un parti. Les jeunes consomment davantage de médias sociaux et de presse en ligne, même s’ils sont également de grands consommateurs de presse écrite. Pour ce public, la télévision en ligne se rapproche de la télévision traditionnelle.

Le temps consacré chaque jour à la consommation de certains médias par les internautes du monde entier au cours du premier semestre 2022, par tranche d’âge.

Le temps quotidien consacré à la consommation de certains médias par les internautes du monde entier au cours du premier semestre 2022, par tranche d'âge

Source de données : Statista

Pour vous investir efficacement dans les médias sociaux, vous avez besoin d’abonnés que vous pouvez toucher, soit par l’intermédiaire de comptes du parti, de comptes de dirigeants ou de comptes de tiers avec un grand nombre d’abonnés.

La première étape consiste à vérifier la portée de votre parti sur les médias sociaux.

Pour ce faire, il suffit de vérifier le nombre d’abonnés du parti ou de ses dirigeants sur toutes les plateformes et de les compiler. Une fois cette étape franchie, il faut développer un mécanisme pour maximiser l’utilisation de ce canal par la création de groupes du parti destinés à la diffusion de communiqués, de vidéos et d’autres contenus médiatiques.

Cela peut être réalisé efficacement par la création de groupes sur WhatsApp, où les principaux influenceurs du parti reçoivent des contenus médiatiques à publier ou à citer sur leurs comptes.

Une fois que vous avez une idée de la force de vos abonnés et de la façon de faire passer le message via leurs canaux, vous devez franchir une étape importante : comprendre et communiquer les règles des plateformes de médias sociaux afin que votre contenu ne soit pas bloqué par la firme propriétaire des médias sociaux. Même si vous ne pouvez pas contrôler ce qu’un gouvernement autoritaire pourrait faire pour bloquer votre contenu, vous devez éviter que votre contenu soit bloqué par le canal de médias sociaux.

Certains de ces canaux ont des règles qui régissent les scènes de violence et autres situations jugées éprouvantes. Ces règles peuvent vous sembler répréhensibles, car elles vous empêchent de dénoncer de graves injustices, mais mieux vaut préparer un contenu qui transmette le message sans enfreindre les règles en vigueur.

À cet effet, vous devriez créer une présence Web autonome du parti, où vous pourriez publier les contenus susceptibles d’enfreindre ces règles, et utiliser ensuite les médias sociaux pour diriger le trafic vers ces contenus.

Le site Web du parti doit être un dépôt fiable de tous les éléments liés à la campagne et doit être mis à jour au moins une fois par jour avec de nouveaux contenus.

Si vous publiez votre manifeste, il doit être disponible sur votre site Web au moment de sa publication, car c’est précisément là que le public viendra le chercher. Tel est notamment le cas pour les journalistes qui souhaitent consulter le document source dans son intégralité. Le contenu le plus récent doit être mis en évidence sur la page d’accueil. Veillez à ce que votre site Web soit mis à jour avec professionnalisme et qu’il ne contienne pas d’erreurs. 

Il est tout aussi important de comprendre quel type de contenu est promu et approuvé par les réseaux de médias sociaux. Par exemple, vous pouvez suivre la « règle 5-3-2 », qui suggère que sur dix contenus sur les médias sociaux, 5 devraient relayer du contenu provenant d’autres sources pertinentes pour votre public, 3 devraient être votre propre contenu pertinent pour votre public et 2 devraient être plus personnels « qui ne sont pas liés au travail » afin d’humaniser votre marque.3 Cette méthode est considérée comme la plus efficace pour diffuser du contenu sur LinkedIn ; d’autres réseaux sociaux peuvent adopter une approche différente.

Trois bulles : contenu de vous, contenu des autres, contenu qui devrait être personnel

Enfin, vous devez mesurer votre engagement sur les réseaux sociaux en enregistrant régulièrement le nombre de vues, de likes et de partages de vos publications.

Vous verrez rapidement les contenus les plus populaires et qui valent la peine d'être diffusés plus souvent. Si le budget le permet, vous pouvez payer pour faire une campagne publicitaire de ces messages, ce qui veut dire que le réseau de médias sociaux diffusera le contenu auprès d’audiences ciblées. Vous pouvez sélectionner ces publics en fonction de critères démographiques et géographiques.

Exemple de pays

Flag

Pologne

Le retournement de la coalition polonaise

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Inscription et liste électorale

L’univers des électeurs potentiels est déterminé par la liste électorale. Rien ne sert de mener une campagne électorale compétitive si vos partisans ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Cette inscription se fait généralement à la période d’inscription fixée par la Commission électorale.

Le processus d’inscription de vos partisans est tout aussi important que la campagne. Dans certains cas, les résultats du vote sont manipulés par des modifications apportées aux listes électorales en raison d’un redécoupage des circonscriptions ou même d’un changement de lieu de vote. Cela peut amener les électeurs à se rendre au mauvais endroit pour voter ou à constater l’absence de leur nom sur les listes électorales en dépit de leur participation à des élections antérieures.

Une campagne d’inscription électorale doit donc permettre d’accomplir deux choses :

  1. Inscrire la nouvelle vague d’électeurs : Ces personnes peuvent avoir atteint l’âge de voter depuis l’élection précédente ou ne pas avoir participé aux élections, mais souhaitent désormais voter.
  2. Inciter les électeurs déjà inscrits à vérifier les informations relatives à leur inscription sur les listes électorales : En raison d’éventuels changements dans les circonscriptions ou les lieux de vote, ou en raison d’une manipulation pure et simple, il est essentiel d’inciter vos partisans à vérifier leur inscription et à identifier le lieu où ils vont voter.

Persuader les gens de voter dans des sociétés soumises à la répression est un défi. Nombreux sont celles et ceux qui pourraient soutenir votre parti, mais craignent de participer officiellement à la vie politique par crainte de représailles ou de discrimination. L’éducation des électeurs, en particulier en ce qui concerne le vote à bulletin secret, est essentielle pour dissiper ces craintes.

Exemple de pays

Flag

Zambie

Zambie : Le pouvoir d’une victoire écrasante

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Scrutin et comptage parallèle de votes

Ces derniers temps, le jour des élections se déroule généralement dans le calme et l’ordre. Les électeurs font la queue pour voter en présence d’observateurs essentiellement regroupés dans les zones urbaines. Cela s’explique par le fait que les régimes qui ont l’intention de truquer le scrutin le font rarement le jour de l’élection. Ils préfèrent manipuler les résultats quand personne ne regarde pendant la phase de campagne et ensuite pendant la phase de dépouillement.

La manipulation des résultats du vote pendant la phase de dépouillement peut prendre plusieurs formes :

  • Abus des systèmes électroniques : Les systèmes électroniques utilisés pour transmettre les résultats peuvent être manipulés en accédant aux serveurs et en créant des algorithmes qui modifient les résultats en faveur du parti au pouvoir. Les gouvernements se procurent souvent ces systèmes par le biais d’appels d’offres douteux, qui obligent le prestataire de services à laisser une « porte dérobée » ouverte à la manipulation.
  • Interférence dans le dépouillement : Elle peut prendre la forme d’une perturbation physique du scrutin dans les bastions de l’opposition pour semer le chaos et permettre l’annulation ou la manipulation des résultats. Elle peut également être le fait d’agents électoraux partiaux qui procèdent au dépouillement en l’absence d’observateurs indépendants ou d’agents des partis, bien qu’on assiste de moins en moins à ce type de manipulation.
  • Modification des résultats des bureaux des votes pendant la transmission : Dans ces cas, les agents exploitent le système utilisé à leur avantage pour transmettre les résultats des bureaux de vote aux centres de dépouillement centraux ou régionaux. La situation est particulièrement préoccupante lorsque les résultats de plusieurs bureaux de vote sont regroupés en un « décompte régional », qui est ensuite soumis à un décompte national. Dans ce système, il est difficile pour un parti de vérifier que les résultats des différents bureaux de vote ont été comptabilisés avec exactitude.
  • Interférence au niveau de la commission électorale : Les partis au pouvoir peuvent manipuler les personnes qui siègent dans les commissions électorales où les décomptes finaux sont vérifiés et autorisés avant l’annonce des résultats définitifs. Ces discussions sont souvent peu transparentes et peuvent déboucher sur des décisions d’exclure les résultats de certaines zones en raison de fausses allégations de manquements à la procédure. 

Pour pallier la manipulation des résultats, de nombreux partis, et dans certains cas des ONG, ont recours au comptage parallèle des votes (CPV) pour procéder à un décompte non officiel des voix, de façon à ce que les divergences entre les résultats officiels et les résultats réels puissent être révélées en maintenant une certaine crédibilité.

Les CPV réalisés par des ONG indépendantes sont plus crédibles que les CPV des partis, elles sont non partisanes et ne peuvent être accusées de partialité politique. Toutefois, il est essentiel que les partis réalisent leurs propres CPV afin de pouvoir alerter les ONG et les observateurs sur les irrégularités dans le comptage des votes.

Les CPV ne se limitent pas au décompte des voix, aussi important soit-il. Ils peuvent également être utilisés pour déterminer si le matériel électoral a été livré ou non, et si les agents des partis ont été autorisés à observer librement le vote et le dépouillement et à signaler les incidents.

C'est ainsi que le CPV doit se dérouler :

  • Un centre de traitement des données est mis en place, capable de traiter les messages provenant de l’ensemble du pays et portant sur la participation électorale et les résultats. Dans certains cas, un logiciel sur mesure peut être utilisé pour rassembler les résultats.
  • Les observateurs sont recrutés et formés pour comprendre comment le vote et le dépouillement sont censés fonctionner et comment enregistrer les données et les transmettre à la base de données centrale.
  • Les observateurs sont déployés dans un échantillon de bureaux de vote qui couvre différentes zones géographiques, les bastions des partis et les zones urbaines et rurales, à moins qu’il ne soit possible de déployer des observateurs dans tous les bureaux de vote, ce qui garantit un enregistrement total.
  • Les observateurs observent le processus de vote et notent si la procédure est respectée ou non.
  • Les observateurs photographient le décompte final signé par le bureau de vote et le transmettent au centre de traitement des données.
  • Les rapports peuvent être envoyés par SMS codé ou par un service ou une application de messagerie.
  • Les résultats sont comparés à ceux qui ont été soumis par les responsables électoraux.
  • Lorsque le vote est terminé, le résultat du CPV est publié afin de donner des indications sur le résultat électoral attendu.
  • Les divergences avec le décompte officiel sont rendues publiques.

L’illustration ci-dessous a été réalisée par l’Institut National Démocratique pour les Affaires Internationales, qui a contribué à la mise en place du CPV dans plusieurs pays.4

Processus PVT

Même si les régimes peuvent ignorer les décomptes parallèles des votes, il faut absolument utiliser cet outil pour prouver qu’il y a eu des irrégularités. Un CPV crédible et systématique peut être un outil très utile dans une bataille juridique et peut être utilisé pour porter publiquement l’affaire lorsqu’une élection a été volée. Une contestation fondée sur des données pourrait avoir une résonance bien plus grande que des avis anecdotiques sur ce qui n’a pas fonctionné.

Manipulation numérique

Le cybercontrôle et la manipulation de l’information deviennent rapidement la prochaine ligne de front d’une guerre invisible mais extrêmement destructrice contre la démocratie. Les cyberattaques menées par des acteurs non étatiques et des régimes autoritaires peuvent influencer les résultats des élections avant même le scrutin. La surveillance de masse de l’Internet, le contrôle des comptes de médias sociaux, le harcèlement des militants et des membres de l’opposition se sont généralisés pendant les cycles électoraux, en particulier parce qu’il n’y a pas de garde-fous internationaux et qu’il n’existe qu’une législation vague dotée d’un pouvoir discrétionnaire important pour surveiller les citoyens. Les gouvernements adoptent de plus en plus souvent des projets de loi sur le secret et la sécurité nationale qui autorisent la surveillance de masse, le recours à des procédures de contrôle et de vérification de la société civile, et des définitions élargies de la sécurité qui couvrent les actions de tout un chacun. Ces projets de loi sont délibérément silencieux sur la redevabilité et la transparence judiciaires. L’utilisation de logiciels espions contre l’opposition, les journalistes et les militants est de plus en plus courante. Le célèbre logiciel espion Pegasus de l’entreprise israélienne NSO Group est devenu la cyberarme la plus puissante au monde en raison de sa capacité à cibler des appareils sans que l’utilisateur n’ait à cliquer sur un lien pour activer le logiciel malveillant. Nous savons maintenant que cela a commencé des années auparavant et avec d’autres sociétés de logiciels, telles que FinFisher, il y a plus de dix ans. Les entreprises ne sont pas empêchées de vendre ces armes à des gouvernements autoritaires, même si elles prétendent respecter le contrôle des exportations prévu par les arrangements de Wassenaar.

Les logiciels espions sont partout et nombreux sont ceux qui en produisent, en particulier dans les pays démocratiques du Nord.

Vous trouverez ci-dessous quelques-uns des pays et les produits qu'ils ont développés :

  • Israël: Cellebrite, NSO Group, Black Cube, Candiru, QuaDream, Paragon, Toka. 
  • Allemagne: FinFisher, Digitask.
  • Russie: Software Oxygen, ElcomSoft. 
  • États-Unis: AccessData, Grayshift, Passware, Sirchie, SysTools, Susteen, Black Bag, Palantir.
  • Canada: Magnet Forensics, OpenText.
  • Chine: Meiya Pico, Resonant, FiberHome, EaseUS, SalvationDATA.

De nouvelles pratiques de manipulation des élections à l'aide d'outils numériques sont de plus en plus courantes, sans que les partis d'opposition, les missions d'observation électorale et les citoyens ne comprennent bien comment en atténuer et en inverser les effets. Ci-dessous figurent quelques interventions technologiques connues qui ont contribué à modifier les résultats des élections, les rendant non libres, injustes et opaques. 

01

L'utilisation des médias sociaux pour diffuser des malinformations et des mésinformations a été constatée lors des scrutins de 2017 et 2022 au Kenya.

Des influenceurs ont été achetés, de faux comptes automatisés ont été créés et des messages ont été publiés avec des mots-clés similaires pour manipuler les algorithmes et faire en sorte que les sujets deviennent populaires. Les fausses nouvelles ont fait le buzz, avec des unes de journaux fabriquées et des images photoshopées pour discréditer ou soutenir un candidat. Un groupe israélien appelé Team Jorge, qui prétend avoir mené avec succès 27 campagnes présidentielles, est un nouveau type de cyber mercenaire qui œuvre au renversement du processus démocratique. L'entreprise est dirigée par Tal Hanan, un expert en contre-terrorisme et en cybersécurité. Moyennant une somme importante (entre 6 et 15 millions d'euros), ils s'emploient à perturber la logistique de l'opposition, à l'intimider et à susciter la méfiance des citoyens à l'égard du système de vote, en utilisant des tactiques aussi variées que la falsification de documents pour faire chanter, la diffusion de faux renseignements, la propagation de la désinformation et le déploiement de campagnes ciblées sur les médias sociaux. Team Jorge a créé une plateforme d'influence appelée Advanced Impact Media Solutions qui aurait été vendue aux services de renseignement de dix pays, où des avatars d'apparence réaliste ou des robots qui utilisent des photos volées de personnes réelles mènent des campagnes de désinformation (Wire report).

02

La compilation des listes électorales électroniques et leur processus d'audit, le cas échéant, est un champ que les gouvernements autoritaires utilisent pour masquer les chiffres qu'ils fabriquent en y ajoutant un plus grand nombre d'électeurs que ceux qui ont été réellement inscrits.

Les listes électorales qui ne sont pas correctement vérifiées peuvent comporter un nombre important d'électeurs fantômes qui compliquent le calcul du pourcentage de l'électorat qui a voté et celui du taux d'abstention. Par exemple, en Angola, en 2022, plus de 2 millions d'électeurs ont été ajoutés aux listes électorales avec la preuve que des personnes décédées et des enfants y figuraient. Cette pratique a facilité la fabrication massive de résultats en vue de l'annulation des résultats réels obtenus par l'opposition. La coalition d'opposition, le United Patriotic Front, a prouvé (en utilisant son comptage parallèle des votes) que rien que dans trois provinces sur dix-huit, l'UNITA avait été privée de 500 000 votes, ce qui aurait fait basculer les résultats en défaveur du parti au pouvoir, le MPLA. 

Élection générale angolaise de 2022

Image : Twotwofourtysix (CC BY-SA 4.0)

03

L'intimidation, l'infiltration et la surveillance par les services de renseignement – à l'approche de moments critiques sur le plan politique comme les élections pour des présidents sortants qui ont progressivement perdu leur attrait et leur base de soutien – ont conduit à l'infiltration des partis d'opposition, des mouvements de jeunes et des organisations de la société civile.

L'objectif est de perturber, de saboter et de rassembler des preuves pour les accuser ensuite à tort de tentatives de coup d'État, de trahison ou d'incitation à la violence. Une autre tactique utilisée consiste à susciter la peur en faisant circuler des listes de personnes ‘à abattre’ sur les médias sociaux dont l'authenticité ne peut être vérifiée, ou en marquant les maisons, les portes ou les voitures d'individus qu'il faut réduire au silence. Le chantage résultant des trucages est plus facilement exercé contre des personnes très en vue qui n'ont que peu ou pas de recours pour prouver leur innocence. 

04

Le contrôle du processus de calcul permettra de modifier les résultats. Les systèmes électroniques de gestion des données sont plus difficiles à vérifier et à contrôler par les observateurs internationaux, qui sont limités au système de comptage manuel.

Des vérifications judiciaires sont nécessaires et les organes de gestion des élections doivent être habilités à superviser le système de calcul. L'interférence peut prendre la forme d'un piratage informatique ou d'une manipulation interne des systèmes informatiques centraux, ou encore de l'utilisation d'algorithmes pour modifier les résultats de certains bureaux de vote. La manipulation peut se produire au cours du transfert électronique des résultats des bureaux de vote aux commissions électorales et au cours du processus de calcul central. Durant les élections présidentielles de 2016 au Ghana, le gouvernement aurait manipulé les systèmes de données de la commission électorale et utilisé un algorithme de neutralisation programmé pour compenser la falsification des résultats des élections. La Cour suprême a annulé les élections kenyanes de 2017, alors que des missions d'observation internationales respectées en avaient approuvé le résultat. Il a été révélé que des pirates informatiques se sont connectés au système de la Commission électorale à partir de comptes Gmail pour modifier les feuilles de résultats. Plusieurs formulaires ont été supprimés du système et d'autres n'avaient pas de filigrane, ne comportaient pas de dispositif de sécurité ou étaient illisibles. Le département de génie électrique et d'informatique de l'université du Michigan a récemment mis au point un algorithme qui permet de manipuler facilement les images des bulletins de vote, en déplaçant les choix des électeurs vers un autre candidat. L'expérience a été réalisée pour illustrer les dangers et la facilité avec laquelle les systèmes informatiques peuvent être piratés, avec des attaquants exécutant des codes malveillants qui modifient les résultats du vote sur les scanners numériques des bulletins de vote et d'autres dispositifs de technologie électorale. Leur conclusion est que les audits postélectoraux doivent s'accompagner d'inspections des bulletins de vote papier afin de vérifier les résultats. 

Électeur dans un bureau de vote numérique

Plus de 200 étudiants, membres du personnel et membres du corps professoral ont voté lors de l'élection simulée. Photo : Levi Hutmacher/Université du Michigan Ingénierie

05

Les coupures d’Internet ou la désactivation des plateformes de médias sociaux pendant le vote et le dépouillement sont des stratégies qui, par le passé (par exemple, lors des élections présidentielles de 2016 au Gabon), ont été utilisées pour empêcher les processus de CPV par l’opposition et la société civile.

Au cours des élections municipales de 2023 au Mozambique, des interruptions d’Internet ont été constatées. La société civile a signalé que dans les principales villes, des restrictions ont été imposées sur l’énergie, l’Internet et les journalistes pendant le vote et le processus de compilation. À la fermeture du scrutin, le fournisseur de services Movitel a connu une panne majeure.

06

Des experts en guerre psychologique émettent des avis sur les stratégies à déployer contre les civils.

Le magazine Wired a rapporté que la société Pangea IT a acheté un système appelé Sensority, qui détecte le stress psychologique chez les sujets et serait le plus à même de détecter si les campagnes fonctionnent.

Les brouillages numériques en période électorale deviendront de plus en plus fréquents.

Les groupes de l’opposition et de la société civile doivent donc alerter les observateurs internationaux sur les stratégies technologiques de fraude électorale ; ils doivent protéger leur comptage parallèle, stocker les informations dans le Cloud et en dehors, et avoir des sauvegardes manuelles de tout. Ils devraient également disposer d’une « armée » de journalistes d’investigation, d’ONG et de diplomates bienveillants prêts à évaluer les preuves et à les faire sortir du pays.

Les partis d’opposition, les dirigeants des mouvements sociaux et les membres de la société civile doivent mettre en œuvre des systèmes de sécurité holistiques stricts, à la fois physiques et numériques. Les téléphones doivent toujours être en mode verrouillage pour se protéger contre les logiciels espions et autres piratages. Les mises à jour d’iOS ou d’autres programmes sont essentiels, car Apple et d’autres sociétés corrigent constamment les failles de sécurité de leurs systèmes d’exploitation. Les personnes à haut risque ont besoin de systèmes de sécurité définis pour atténuer les risques de devenir une cible de la surveillance, en s’assurant que les communications restent privées, en utilisant des réseaux privés virtuels pour cacher leur IP, des applications de messagerie sécurisées (comme Signal qui ne stocke pas vos métadonnées), des applications de numérisation par smartphones (comme l’appli Am I Secure de Numbers Station) et des fournisseurs de courrier électronique sécurisés comme Proton Mail. Les informations très sensibles doivent être conservées hors du Cloud sur des disques durs externes et des systèmes fermés qui ne peuvent pas être piratés. 

Gérer les acteurs étatiques malveillants

Continent africain, représenté artistiquement

Sur le plan géopolitique, l'Afrique est devenue un champ de bataille pour les acteurs multipolaires désireux d'affaiblir les institutions multilatérales qui contrôlent le comportement des États et permettent une gouvernance mondiale coopérative. Le continent, en particulier, a subi un recul démocratique considérable, avec une augmentation inquiétante des coups d'État militaires et constitutionnels, des partis au pouvoir fragmentés qui procèdent à des purges à l'intérieur comme à l'extérieur, et des autocrates soutenus par l'Occident qui défendent des intérêts économiques et politiques étrangers étroits. Dès lors, il devient de plus en plus urgent de protéger les parties prenantes et les civils qui œuvrent à la promotion des valeurs démocratiques. Les services de renseignement jouent un rôle essentiel dans le maintien de l'hégémonie politique des partis répressifs au pouvoir. Ils ont longtemps été un outil privilégié pour étouffer la dissidence et réduire violemment au silence les groupes réformateurs, ce qui a conduit à une plus grande répression, exclusion et privation des droits des citoyens. Les régimes autocratiques d'Afrique et d'ailleurs utilisent un large éventail de services de renseignement pour leur survie politique, augmentant le nombre d’unités pour surveiller et exerçant des opérations de contre-intelligence sur les élites, l’armée, et la société civile. Ce faisant, ils infiltrent également l'opposition, s’approprient les ressources de l’État, garantissent l'obéissance patriotique au parti au pouvoir et neutralisent toute tentative de pluralisme et de réforme démocratique. Ensemble avec la police, les groupes paramilitaires et praetorian spécialisés, ces forces ont intimidé, espionné et arrêté les personnes soupçonnées d'être des ennemis de l'État. L'établissement d'une structure complexe de garde prétorienne a offert à de nombreuses présidences des assurances de longévité politique. Les multiples services de renseignement ont élargi la portée de la présidence dans la gestion de la société et l’extension de l'influence sur le secteur privé, l'opposition et les élites dirigeantes. 

Les différentes branches des services de renseignement ont joué un rôle central dans la gestion des rivalités au sein des compétitions politiques internes pour le pouvoir à l’intérieur et entre les services ainsi que parmi les différents groupes en lice pour le pouvoir.

Leur portée leur confère un sentiment d'omniprésence, contrôlant, infiltrant et surveillant presque tous les aspects de l'État, de la vie privée, de la société civile, du secteur privé, du gouvernement et de l'armée. Leurs actions ont parfois échappé à la responsabilité du gouvernement par la maîtrise d'un pouvoir incontrôlé sur les élites politiques. Aujourd'hui, ils combinent des systèmes de surveillance avancés en employant COMINT (systèmes de renseignement des communications combinés), spyware et systèmes de surveillance HUMNIT (collecte et analyse de renseignements humains) contre les mouvements d'opposition, les élites politiques, les acteurs économiques et les civils. Pour de nombreux partis au pouvoir issus du marxisme, l'influence des procédures soviétiques et du modus operandi cubain continue de se faire sentir dans toutes leurs structures. Des conseillers, experts et formateurs russes et cubains ont aidé à renforcer diverses unités, dirigé leurs activités pour contenir efficacement les actions 'subversives' et assurer un commandement et contrôle rigoureux, discipliné et patriotique. 

Drapeaux de Cuba et de la Russie sur des mâts

Il existe un équilibre fragile et non réglementé entre l’innovation et la nécessité d’une politique et d’une loi portant sur la protection de la démocratie.

Les technologies émergentes fragilisent de manière croissante les valeurs et les pratiques démocratiques, avec des outils génératifs d’intelligence artificielle qui sont le fer de lance de la collecte massive de données et qui contribuent à l’accélération des opérations des gouvernements autoritaires. L’IA est de plus en plus utilisée pour éliminer les dissidents, élargir le champ de surveillance intrusive des médias sociaux et a exacerbé la discrimination raciale et de genre en raison du profilage biaisé. Plusieurs acteurs autoritaires, fournisseurs malhonnêtes et acteurs démocratiques exportent des logiciels et des technologies de surveillance qui compromettent la crédibilité des élections et mettent en péril la sécurité des militants démocratiques et de la société civile. Ils déforment également la vérité, modifient les résultats électoraux, réduisent l’espace civique et militent contre la dissidence. La surveillance numérique affecte les espaces en ligne et hors ligne et a un impact fondamental sur les valeurs démocratiques, ce qui fait pencher la balance en défaveur des acteurs civiques, des partis d’opposition et des voix de la réforme, et menace la liberté d’expression, de réunion et d’autres droits humains dans les pays qui luttent pour changer leurs systèmes politiques. La surveillance conduit également à l’autocensure et à un déclin du militantisme, des campagnes et de la participation civique. Les élections, depuis 2017, ont démontré la nécessité de mieux comprendre les opérations obscures des mercenaires technologiques, des services de renseignement et leurs maîtres, les gouvernements autoritaires. Le brouillage numérique dans le processus démocratique devient aujourd’hui un mode de manipulation électorale de plus en plus fréquent.

L'Afrique organise 19 élections en 2024

L’Afrique a organisé 19 élections en 2024, ce qui signifie que plus d’un tiers de la population du continent a voté dans un contexte en évolution rapide, compte tenu des irrégularités passées liées à la technologie et aux ingérences étrangères. Chaque pays aurait sa propre stratégie pour influencer les résultats des élections : surveillance électronique, contrôle des réseaux sociaux, interception massive et ciblée, utilisation d’agents de renseignement pour infiltrer, perturber et menacer l’opposition et la société civile, utilisation de la biométrie pour compliquer les processus, profilage des électeurs pour priver les partisans de l’opposition de leurs droits, désinformation et propagande, etc. Dénoncer ces pratiques et plaider pour que les missions d'observation internationales et régionales prennent en compte l'expertise dans ce domaine est primordial. Préparer la société civile, les militants et les partis d'opposition à détecter ces manœuvres est essentiel à l'intégrité électorale. Un bastion crucial dans la défense de la démocratie a été la résilience de la société civile. Les exemples récents du Brésil, du Kenya et de la Zambie soulignent le rôle déterminant que joue la société civile dans la tenue d'élections équitables et le maintien de leur intégrité, souvent en collaboration avec les autorités électorales ou les cours constitutionnelles.

Les élections sont utilisées pour soutenir les autocrates au niveau international, une tendance qui ne fera que s'accentuer compte tenu des stratégies de realpolitik de l'Occident en rapport avec les divisions géopolitiques mondiales.

La stabilité est devenue bien plus importante que la démocratie.

Chercher des alliés pour se ranger du côté de la vérité, de la justice et de la démocratie n'est pas toujours facile, mais les travaux portant sur les questions politiques faciliteront la tenue de ces conversations délicates. Il est urgent de repenser l'observation des élections et l'audit électronique des listes électorales, les processus de compilation et d'établir des garde-fous contraignants contre l'utilisation de l'IA et des logiciels espions. On en sait plus sur l'ingérence étrangère (principalement russe) dans les élections occidentales et le lancement d'initiatives gouvernementales et privées destinées à alimenter la mésinformation et les fausses nouvelles. La désinformation et les fausses nouvelles risquent de déformer la vérité au point de la rendre malléable et d'entraîner l'apparition de deux systèmes parallèles de médias sociaux, deux Internets, deux récits parallèles qui s'annulent l'un l'autre – l'un dominé par la Chine et la Russie et l'autre par l'Occident.

Deux systèmes parallèles

On en sait moins sur l'impact de cette situation dans le Sud et sur l'héritage dangereux et durable qu'elle lègue en sabotant les efforts de réforme démocratique et la confiance du public dans les élections. Ceci révèle à quel point les frasques des mercenaires de la mésinformation qui visent les élections démocratiques occidentales (Trump et le Brexit, par exemple) se produisent dans des contextes politiques fragiles, où l'opposition, les mouvements sociaux, les militants des droits humains, la société civile et les médias sont confrontés à des conditions beaucoup plus difficiles et interviennent sans la moindre garantie de justice, de redevabilité, de défense de la vérité et de respect de la volonté du peuple.

La guerre contre le terrorisme et le Patriot Act ont ouvert la voie à la surveillance de masse et élargi le pouvoir dont dispose le gouvernement pour espionner les citoyens, tout en réduisant le contrôle judiciaire et la redevabilité à l’égard du public.

La politique de la peur est devenue une politique pour de nombreux gouvernements. Le dicton russe « La peur a de grands yeux » – qui signifie que lorsque vous avez peur, vous voyez les facteurs qui causent cette peur partout, même lorsqu’ils n’existent pas – est devenu une réalité de tous les jours.

« La peur a de grands yeux »

Lorsqu’un État qui mise tout sur la sécurité organise des élections, il utilise la peur comme un instrument pour renforcer le sentiment d’appartenance et pour neutraliser l’opposition. Susciter la peur est un concept politique qui dépeint les élections comme des menaces pour la paix, la sécurité et la stabilité de l’État. En invoquant la logique de la sécurité, les gouvernements intimident et limitent l’opposition, les médias et la société civile, et justifient les tactiques pour manipuler le processus sous prétexte de protéger en toute légitimité la paix et la stabilité. À cela s’ajoute un travail de désinformation qui consiste à assimiler l’opposition à une menace pour la sécurité nationale. Lorsque les citoyens ne se sentent pas en sécurité, ils recherchent un sentiment de sécurité qui est associé à l’érosion de la démocratie ; ils sont disposés à renoncer à certaines libertés. Le sentiment d’être surveillé est également un outil puissant qui permet d’exercer un contrôle social et de faire en sorte que les gens se conforment aux résultats souhaités.

L’IA donnera à toutes ces actions négatives de surveillance de masse, d’interception et de perte de contrôle de la vie privée, de la liberté de pensée et de la dignité humaine un pouvoir sans égal. 

Exemple de pays

Flag

Malawi

L’élection « Tipp-Ex » au Malawi

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Bâtir des coalitions résilientes

Dans un contexte postélectoral où il n’y a pas de vainqueur clair, des coalitions se forment pour prendre le pouvoir en rassemblant une majorité de voix ou de députés, selon le système électoral. Cette période de négociation de la coalition peut être une période de chaos et de contestation. Il est très important de vous préparer à ce type d’environnement bien à l’avance, afin de disposer, lorsque le moment se présente, d’un plan clair fondé sur des bases solides et de ne pas vous retrouver court-circuité par des opportunistes et abandonné par ceux que vous pensiez être des alliés.

Il existe trois types essentiels de coalitions :

  • Consolidation préélectorale des partis en une seule entité pour disputer l'élection ;
  • Accord préélectoral de coopération pendant la période postélectorale ; et
  • Coalitions post-électorales formées sur la base de la répartition des voix.

Le choix de l'une ou l'autre de ces approches est important et doit intervenir bien avant la campagne électorale afin de faire passer un message cohérent aux électeurs.

Dans le cadre de la consolidation préélectorale, ces ‘coalitions’ aboutissent à la formation d’un ‘mouvement’ unique et uni, dans lequel plusieurs partis et dirigeants politiques mettront de côté leurs divergences pour avoir le meilleur résultat possible aux urnes. La réussite d'une telle approche dépend du degré de partage des valeurs et des politiques entre les partis, qui, en cas de victoire, auront à gouverner ensemble et à adopter un programme concerté.

Il existe néanmoins deux types de consolidations préélectorales.

Le premier

...est celui où les partis ont des divergences majeures, notamment en matière de politique, mais estiment que, pour le bien du pays, ils doivent unir leurs forces pour provoquer un changement. Un tel mouvement nécessite un leadership très fort et une volonté de faire des compromis afin de présenter un front uni face aux électeurs. La portée d'une telle coalition ne peut toutefois pas être infinie et ne peut pas inclure des forces malveillantes dont les valeurs sont contraires à la démocratie, à l'ouverture d'esprit et à la redevabilité. L'inclusion de ces forces ‘dans l'intérêt de la victoire’ peut semer la confusion dans l'esprit des électeurs et les amener à considérer l'opportunisme avec cynisme. 

Deuxièmement

Il est donc important de tracer clairement les limites d'une telle consolidation afin d’éviter d’envoyer de mauvais messages aux électeurs. Une telle plateforme de démocrates doit au minimum partager les valeurs d'élections libres et équitables, de démocratie, d’État de droit et de gouvernance transparente et responsable.

Un rôle pour les instances étrangères ?

Le rôle des instances étrangères dans la promotion de la démocratie est depuis longtemps controversé. 

Les régimes visés ont rejeté ce rôle en le qualifiant de ‘néocolonial’, à l'instar du discours prononcé par le Président François Mitterrand lors du sommet franco-africain de juin 1990, lorsqu’il a annoncé que l’aide française serait à l’avenir subordonnée à des réformes démocratiques.5

Ce discours a replacé les relations de la France avec l’Afrique dans le contexte de l’après-guerre froide. Au lieu d’être motivé par l’intérêt personnel, le discours associe le commerce et l’aide aux droits humains et à la démocratie. Jusqu’alors, la politique africaine postcoloniale de la France avait été caractérisée par un cocktail de liens personnels intimes avec les dirigeants africains et une collaboration étroite sur des questions telles que la politique monétaire, l’aide au développement, l’éducation, les télécommunications et, bien sûr, la défense. Pendant les quatorze années du mandat de Mitterrand (1981-1995), l’armée française est intervenue au moins dix fois en Afrique subsaharienne.6

Extrait d'un vieux journal

Image : impression de journal de 1990, provenant des archives du New York Times.

Le gouvernement français, longtemps considéré comme un protecteur des pires tyrans africains, a été, curieusement, l’un des premiers à signaler en termes rhétoriques un changement d’approche. Faisant l’éloge des gouvernements qui avaient annoncé leur intention de créer des États multipartites, parmi lesquels le Gabon, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo, M. Mitterrand a déclaré que la France « liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ».7

Ce changement s’est toutefois avéré plus problématique dans la pratique.

Dominique de Villepin a été Ministre français des affaires étrangères, puis Premier ministre pendant 2 ans à partir de mai 2005. Il s’est fait connaître en 2003 par son opposition à l’invasion de l’Irak.

‘La Baule,’ dit-il, ‘était une erreur et un échec parce que la démocratie est un processus et non un moment. Nous n’aurions pas dû réduire l’aide, car nous avions besoin d’un pont entre différents types de régimes. Et nous ne devrions pas juger les régimes sur la base de leur démocratie.’8

Dominique de Villepin

Dominique de Villepin. Photo: Maya-Anaïs Yataghène (CC BY 2.0)

Plus important encore, La Baule ne reconnaissait pas que le sort des démocraties africaines serait en fin de compte déterminé par les citoyens de chaque pays, même s'il existe des rôles que les acteurs étrangers peuvent jouer dans la promotion de la démocratie, essentiellement parce que les pays africains dépendent généralement de l'aide étrangère et parce que, dans toute la région, les dirigeants sont très attentifs aux tendances internationales. 

La promotion de la démocratie est difficile pour les acteurs étrangers en soi et dans la mesure où elle rivalise avec de nombreuses autres priorités, et elle appelle à la patience, à la nuance et à une profonde appréciation des réalités locales, qualités qui sont rarement présentes dans les bureaucraties européennes et américaines chargées des affaires étrangères et de l'aide lorsqu'elles sont confrontées à des questions de politique étrangère. 

Elle est également difficile, tout comme durant la guerre froide, lorsque des acteurs étrangers considéraient la démocratie à travers le prisme de la concurrence entre grandes puissances, et soutenaient des autocrates dont les performances économiques et politiques étaient déplorables, mais qui savaient jouer de la rivalité entre superpuissances. Les intérêts stratégiques ont toujours pris le pas sur les droits humains dans la promotion de la démocratie. C’est l’une des raisons pour lesquelles les montants relatifs de financement alloués à cette tâche ont toujours représenté une fraction du financement global des bailleurs, soit moins de 10 %, ce qui aggrave la faiblesse de ces efforts. Cela explique également pourquoi il est arrivé régulièrement que des observateurs étrangers proclament que les élections étaient libres et équitables alors qu'elles ne l'étaient manifestement pas, leur principal intérêt étant la stabilité plutôt que la démocratie. La lutte contre le terrorisme et le contrôle des migrations sont d'autres raisons pour lesquelles les intérêts extérieurs ont préféré entretenir des relations avec des « hommes forts », lorsque la stabilité à court terme l'emportait sur le besoin de créer les opportunités qui donnent lieu à ces deux issues. 

Mais il y a des pressions pour le changement qui résultent des effets de l'échec interne, et ces résultats sont eux-mêmes le fruit d'un manque de gouvernance démocratique, puisqu'il y a un lien évident, surtout en Afrique, entre la qualité de la démocratie et les performances économiques historiques. 

À cela s'ajoute l'intérêt de l'Europe à limiter l'immigration, étant donné les perturbations politiques internes que les migrants ont causées au sein de l'UE. 

Bien que l'aide à la démocratie soit faible par rapport au total des dépenses d'aide (environ 6 % du total annuel), « elle joue un rôle beaucoup plus direct en matière de redevabilité verticale et horizontale », en termes de soutien aux médias, à la société civile, aux commissions électorales, et de renforcement des assemblées législatives et des systèmes judiciaires. C'est ainsi que l'aide à la démocratie renforce « les relations de responsabilité entre les citoyens et leurs gouvernements, ainsi qu'entre les différentes institutions gouvernementales ».9

Même si la théorie du développement décrit presque universellement l'État de droit et la bonne gouvernance comme les facteurs les plus importants du développement, comme l’a fait remarquer Andrew Natsios, l’ancien directeur de l’USAID,10 la majeure partie des dépenses américaines (le plus grand bailleur étranger avec quelque 60 milliards de dollars sur un total de 211 milliards de dollars de flux d’aide au développement en 2022)11 a été consacrée aux domaines de la santé et de l'aide humanitaire, qui sont tous deux le résultat d'une mauvaise gouvernance. Il est encore plus intéressant de noter le rôle qu’allaient jouer les puissances régionales.

L'essentiel des dépenses des États-Unis

Après le passage de l'Organisation de l'unité africaine à l'Union africaine (UA) en 2002, les dirigeants africains se sont fermement opposés aux militaires qui ont tenté de renverser des gouvernements civils directement élus, en brandissant la menace d'une suspension à l'encontre de plusieurs régimes militaires. Toutefois, l'effort collectif de l'Afrique pour promouvoir la démocratie au-delà de cette ligne rouge reste problématique, comme l'ont montré les événements au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Plus elles sont nombreuses, moins les juntes sont vulnérables aux pressions extérieures. 

L'UA a envoyé sur le terrain des observateurs électoraux qui ont souvent validé les élections les plus problématiques, alors que le rôle du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs est douteux en tant qu'outil de promotion de la démocratie. Les organismes régionaux, notamment la Communauté de développement de l'Afrique australe et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ont été confrontés à des défis similaires, ne souhaitant apparemment pas s'exprimer en cas d'élections flagrantes pour diverses raisons, notamment parce qu'ils ne sont pas d'accord sur la nécessité de normes démocratiques ou par crainte d'encourager les acteurs occidentaux, ou encore parce qu'ils ne veulent pas risquer d'afficher leurs attributs de tigre de papier. Les organisations internationales, y compris le Commonwealth, sont également paralysées, à la fois en raison de la diversité de leurs membres, de la force des dirigeants des diverses délégations d'observation des élections et de l'impératif primordial de maintenir les membres à l'intérieur de la tente plutôt que de les exclure sur la base de normes. Ainsi, la volonté de réintégrer des membres est plus forte que la démocratie : prenons l'exemple des partisans de la réintégration du Zimbabwe d'Emerson Mnangagwa dans la famille du Commonwealth. 

La démocratie, c’est le libre choix des citoyens quant à leurs représentants et l’environnement où ce choix s’opère.

L'étendue de ces libertés garantit paradoxalement qu'il est ouvert aux influences d'autres personnes qui peuvent ne pas partager un tel agenda libéral, mais plutôt être intéressées à l'utiliser à leurs propres fins, pour des raisons qui relèvent d'un avantage stratégique sur le plan politique, commercial ou même pour promouvoir des intérêts religieux. Cela ne concerne pas seulement la Russie, la Chine et l'Iran, mais le rôle croissant des États du Golfe en Afrique doit également être considéré sous cet angle, notamment du fait de leurs propres rivalités. 

Cette situation reflète le caractère interne de leur régime et leur intérêt à exploiter les avantages qu'ils ont sur les autres, y compris sur l'Occident. Leur indifférence à l'égard des mécanismes de gouvernance interne est devenue la signature de leur approche vis-à-vis de l'Afrique, en partie parce qu'elle est attrayante pour les partenaires africains et en partie parce qu'elle facilite les affaires - bien que ce trait illustre paradoxalement pourquoi la démocratie est importante pour les pays et les entreprises en occident. 

Les élections sont le moyen le plus spectaculaire par lequel les citoyens peuvent, du moins en théorie, exprimer leurs préférences et, par conséquent, susciter le plus d'attention.

S'il est désormais évident que des élections libres et équitables sont un fondement nécessaire de la démocratie, les élections constituent un « moment » particulièrement attrayant pour les instances étrangères qui souhaitent suivre et exprimer leur soutien aux choix démocratiques. L'image d'observateurs bien intentionnés passant en revue les bureaux de vote le jour de l'élection est devenue la norme dans la couverture médiatique des élections. 

Cependant, les scrutins électoraux sont en réalité très difficiles à surveiller, notamment parce que la tricherie ne se produit plus dans les urnes, mais pendant la totalisation des votes, et que le sort des élections est souvent déterminé des mois avant le jour J, alors que peu d'observateurs se trouvent dans le pays. Les observateurs électoraux extérieurs qui se sont prononcés sur l'équité du processus en se basant sur le besoin de stabilité plutôt que sur la démocratie s'écartent de leur mandat. 

Dans un monde idéal, les instances étrangères détecteraient les signes évidents de l'échec d'une élection ou d'une expérience de démocratisation et tenteraient d'intervenir avant que la crise ne solidifie les lignes de conflit et ne rende improbable une solution durable. Dans le monde réel des bureaucraties étrangères très occupées, une telle prévoyance fait généralement cruellement défaut. Ainsi, un engagement plus étroit avec les organes de la société civile servirait à la fois de mécanisme d'alerte précoce et de moyen de résolution. 

L'Afrique du Sud sous l'apartheid est à la fois l'exception majeure quant au rôle des instances étrangères et un précédent sur leur rôle dans la pression pour le changement. Pendant des décennies, les bailleurs de fonds ont encouragé la transition vers un ordre non racial par la rhétorique, les sanctions et l'aide. Si les sanctions sont aujourd'hui considérées comme un outil à l'utilité limitée, c'est uniquement parce que les intérêts stratégiques entraînent une application inégale. L'Afrique du Sud montre qu'ils fonctionnent lorsque la majorité des acteurs internationaux les appliquent. Sans l'implication de la Chine, de l'Iran, de la Turquie et de la Russie, entre autres, les sanctions n'ont qu'une utilité limitée, même si la façon dont les dirigeants visés s'insurgent contre elles est une indication de leur efficacité et de la menace qu'elles représentent. L'élaboration d'un régime de sanctions – au niveau continental et international – à l'encontre des pays qui s'écartent des normes démocratiques n'est pas seulement dans l'intérêt des populations locales, mais aussi, en fin de compte, dans celui des bailleurs de fonds. 

De Villepin a posé la question suivante : « Si nous devons soutenir la démocratie, que faire de ceux qui ne sont pas démocrates ? Devrions-nous », pose-t-il dans le même esprit que celui qui l'a conduit à ses fameux propos sur l'Irak, « les envahir, tenter un changement de régime ? ». Or, il s'agit là d'une fausse dichotomie. Le choix n'est jamais entre ne rien faire et tout faire. Il ne s'agit pas non plus de choisir entre la démocratie maintenant ou jamais. Ce n'est pas une question de noir et de blanc, mais plutôt une question de nuances de gris, avec une multitude d'étapes et d'options politiques graduées à franchir.

Si les droits humains sont importants, si le développement économique est jugé critique, la réponse doit consister à trouver les moyens de soutenir la démocratie, en veillant à ce que les résultats électoraux truqués ne passent pas la rampe internationale sans commentaire et en soutenant les institutions de la société civile entre les élections, sans oublier les médias.

Car, pour paraphraser le Président Mitterrand, sans transparence et sans État de droit, ni la démocratie ni le développement ne peuvent progresser. 

1 Brian Hanf, ‘Strategies to Win an Election as a Challenger’, TrailBlazer, https://www.trailblz.com/articles/strategies-to-win-an-election-as-challenger.

2 Joe Meyler, ‘The Importance of Narrative’, GPStrategies, https://www.gpstrategies.com/blog/the-importance-of-narrative/#:~:text=Stories%20are%20a%20powerful%20and,connect%20to%20the%20bigger%20picture.

3 Della Cornish, ‘The 5:3:2 Rule of Social Sharing’, 11 mai 2015, https://www.linkedin.com/pulse/532-rule-social-sharing-della-cornish/

4 Voir https://www.ndi.org/sites/default/files/PVT_Infographic_(NDI).pdf.

5 Cette section s’appuie sur l’ouvrage de Greg Mills, Olusegun Obasanjo, Jeffrey Herbst et Tendai Biti, Oui, la démocratie marche : reconfigurer la politique à l’avantage de l’Afrique. Johannesburg : Picador Africa, 2019.

6 Voir, par exemple, Greg Mills, ‘French Policy-Making and Africa’, South African Journal of International Affairs 6(1): 59–65, 1998.

7 Alan Riding, ‘France Ties Africa Aid to Democracy’, New York Times, 22 juin 1990, https://www.nytimes.com/1990/06/22/world/france-ties-africa-aid-to-democracy.html.

8 Discussion, Ambassade de France, Pretoria, 14 mai 2018.

9 Voir https://unu.edu/publications/articles/foreign-aid-and-democracy-in-africa.html.

10 Andrew Natsios, ‘The Clash of the Counter-bureaucracy and Development’, Center for Global Development, 1er juillet 2010, www.cgdev.org/content/publications/detail/1424271.

11 Voir https://www.oecd.org/dac/financing-sustainable-development/development-finance-standards/official-development-assistance.htm.

Exemples de Pays

Exemple de pays

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Sénégal

Encore un changement dans les urnes au Sénégal

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Exemple de pays

Flag

Kenya

Comment gagner correctement

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Exemple de pays

Flag

Pologne

Le retournement de la coalition polonaise

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Exemple de pays

Flag

Zambie

Zambie : Le pouvoir d’une victoire écrasante

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Exemple de pays

Flag

Malawi

L’élection « Tipp-Ex » au Malawi

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Troisième partie

Que faire au pouvoir


Une fois que les démocrates ont réussi à supplanter leur adversaire autoritaire, ils héritent généralement d’une situation économique désastreuse, qui est le résultat d’une économie politique axée sur la distribution de rentes à l’élite. C’est là qu’ils réalisent un principe difficile : la période de redressement est généralement au moins aussi longue que la période de déclin. Défaire les pratiques de nombreuses années de mauvaise gouvernance et réformer l’économie pour qu’elle ne se limite pas à fournir des biens à une poignée de personnes nécessite une utilisation assidue du capital politique ainsi qu’un plan clair, soigneusement hiérarchisé et doté de ressources suffisantes. Cela suppose également de faire face aux fauteurs de troubles, en particulier à ceux qui sont encore attachés à l’ancien régime. Tout comme pour remporter les élections, il faut s’organiser et ne pas s’attendre à des miracles.

Les « choses à faire » et les « choses à ne pas faire » des réformateurs

Signes d’échec

Signes de réussite

Rétribution et redistribution, y compris les solutions idéologiques et populistes.

Regarder vers l’avant, tirer le meilleur du passé et aller de l’avant, même si cela semble difficile et injuste. La différence entre la réussite et l’échec réside dans la manière dont cet héritage est géré et dans la mesure où il détermine l’avenir.

Des solutions au développement impulsées de l’extérieur, y compris les ordres mondiaux nouveaux et « justes ».

L’appropriation locale des problèmes, des échecs et donc des solutions. Des outils externes pour imposer une discipline peuvent aider, notamment en matière de commerce et d’intégration par le biais de l’ALENA et de l’UE. Utiliser les opportunités de marché qui se sont développées en Asie de l’Est, par exemple.

Un régime autoritaire, un « grand homme» - qui vise à allier la bienveillance et l’efficacité.

La concurrence démocratique est un puissant moteur de changement positif si l’on veut que les idées et les principes de base soient justes. Cela permet de limiter la tentation d’autoréférence des gouvernements lorsqu’ils proposent de telles solutions, et de se prémunir contre les réseaux d’autoritaires. Le dictateur bienveillant d’aujourd’hui est l’octogénaire de demain qui s’accroche au pouvoir.

L’aide au développement.

L’aide qui élimine les obstacles au progrès. Il peut s’agir d’aide humanitaire, de maintien de la paix ou d’aide qui améliore le flux des échanges et des investissements en calibrant l’accès à la gouvernance.

Un seul remède, une solution rapide.

Comprendre l’économie politique de l’action et de l’inaction - il y a une raison pour laquelle les choses se produisent, mais il y a aussi une raison pour laquelle elles ne se produisent pas. L’histoire de la croissance est complexe et ressemble à un marathon sans ligne d’arrivée.

Protectionnisme et nationalisme.

Rechercher une intégration plus étroite, et non une libération des investissements étrangers. Se prémunir contre le protectionnisme et le nationalisme, qui sont des moyens d’institutionnaliser les inefficacités et la recherche de rentes.

Placer l’État au centre.

Libérer et armer les gens - en réduisant la présence de l’État, en diminuant les frictions et en favorisant l’accès au capital, à la technologie, au commerce et aux compétences. L’incitation et le changement sont essentiels.

Réprimer les critiques et l’opposition, et employer des tactiques de division et de domination en recourant à la politique de l’identité.

La cohésion nationale et l’objectif commun se reflètent dans la manière dont les institutions fonctionnent et sont respectées, en particulier le système judiciaire et le parlement.

Visions globales, sommets et visites d’État.

Réinventer l’histoire de la croissance. Élaborer des récits, planifier la prochaine étape, affecter des ressources et du temps. Aligner la diplomatie sur les besoins économiques et renforcer la confiance dans la démocratie et ses institutions.

Leadership consensuel et graduel - diriger dans l’ombre.

Les dirigeants doivent être audacieux et agir rapidement ; la marge de manœuvre est limitée. Ceci s’applique particulièrement en cas de crise. Mais il faut aussi garder à l’esprit le facteur temps.

Faire appel à Tony Blair ou à McKinsey : impulser le changement en apportant des réponses techniques et d’actualité.

Les problèmes techniques des pauvres sont un symptôme et non une cause de la pauvreté. La gouvernance va de pair avec la liberté, l’égalité, les valeurs et les droits, ce qui place la bataille des idées et de la logique politiques au centre du développement.

La stabilité l’emporte sur tous les autres besoins.

La stabilité est utile, mais pas au prix d’un ralentissement des réformes. L’instabilité politique est un risque que les réformateurs prennent.

Voir les choses en grand - par le biais d’une intégration régionale ou continentale pour les petits États.

Les petits pays s’en sortent bien, en partie parce qu’il est plus facile d’étendre la gouvernance. La réaction face à l’Ukraine nous rappelle qu’ils disposent d’un puissant pouvoir d’action.

La géographie, la culture, le climat, la religion ou la guerre pour expliquer la faible croissance.

Les gouvernements - et leur capacité à faire de meilleurs choix et à les mettre en œuvre - se distinguent par leurs performances, notamment en s’affranchissant des influences étrangères.

La principale différence entre les réformateurs et les retardataires, entre les États riches et les États pauvres, réside dans la manière dont les dirigeants s’acquittent de leur tâche, dans la réaction de leurs concitoyens et dans les relations qu’ils entretiennent avec le monde extérieur.

Ce qui distingue les performants des autres, c’est l’impuissance apprise des décideurs du deuxième groupe. Cela augmente ainsi les risques de voir le fossé se creuser encore un peu plus et de saper le projet démocratique.1

Les défis auxquels il a fallu faire face pour libérer le système et faciliter les nouveaux investissements en Zambie nous ont appris qu’une bonne dose de volonté politique et de belles déclarations publiques ne suffiraient pas. Le gouvernement doit changer d’état d’esprit et devenir un facilitateur plutôt qu’un simple régulateur. Un Président comme Hakainde Hichilema (mieux connu sous le nom de HH), désireux de bien faire, est un élément positif et absolument nécessaire, mais insuffisant pour que les réformes puissent survivre au contact avec le terrain et se poursuivre au-delà de son (ses) mandat(s). 

Exemple de pays

Flag

Ghana

Le parcours démocratique du Ghana : Leçons pour les démocrates du monde entier

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‘L’Afrique a besoin d’institutions fortes’, a déclaré l’ancien Président nigérian Olusegun Obasanjo, ‘et elle a besoin de dirigeants forts’.

Mais créer ces institutions et assurer la discipline nécessaire pour traduire les paroles en actes et préserver la discipline et la prévisibilité n’est pas une tâche facile, qui nécessite au moins un alignement externe et interne sur leur objectif, leur fonctionnement et leur composition. Cela suppose également de gérer une élite qui passe son temps à faire des manigances et à faire obstacle pour maintenir sa position et le flux de ses rentes. 

Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria et membre du conseil de l'Africa Progress Panel

Olusegun Obasanjo, ancien président nigérian et membre du comité de l'Africa Progress Panel. Photo : Flickr/Friends of Europe (CC BY 2.0)

Les réseaux de mécénat en Afrique sont le produit de la parenté et de la politique. Ils sont conçus pour récompenser et renforcer cette mainmise sur le pouvoir, où les contrats sont attribués aux alliés politiques. Les forces de sécurité sont employées principalement pour maintenir le pouvoir et non pour garantir l’État de droit. Dans cet environnement, le pouvoir est largement incontesté et n’est que dangereusement contestable. Les dirigeants s’appuient sur un petit cercle de conseillers en qui ils ont confiance. Les instances étrangères ne sont tolérées que dans la mesure où elles fournissent des biens ou une certaine protection diplomatique, mais ne sont guère populaires, notamment en raison de l’envie que suscite leur rôle. 

Identifier et s’opposer rapidement à ces intérêts particuliers sont des aspects essentiels du succès d’une réforme.

Les Lettons, par exemple, reconnaissent qu’ils auraient dû démanteler le système soviétique beaucoup plus rapidement, car les Russes ont su « enraciner certaines habitudes et pratiques sur le plan culturel et institutionnel ».2 L’Afrique du Sud s’est empressée de changer le système au lendemain de la fin de l’apartheid, mais uniquement dans la mesure où elle a remplacé un ensemble d’élites (raciales) par un autre. Les tentatives de réforme du système après la chute politique de Jacob Zuma ont été un échec, notamment parce que le parti au pouvoir, l’African National Congress (Congrès national africain ou ANC) était imprégné des mêmes problèmes d’intégrité et de véracité. Des réformes et des poursuites soudaines étaient absolument nécessaires, mais celles-ci ne se sont pas produites à l’échelle voulue, car elles allaient à l’encontre des électeurs de l’ANC et de son sens de la justice.

De fait, le problème est que dans de nombreux pays post-autoritaires, la classe politique et administrative est complètement pourrie et agit en fonction de ses intérêts bien établis. Sans changement radical au niveau institutionnel pour traduire la prise de décision en actions – pour transformer l’opacité, l’arbitraire, l’incompétence et la corruption en transparence, prévisibilité, compétence et redevabilité – on ne verra probablement pas la fin de l’incapacité des régimes africains (et de certains autres) à tenir leurs promesses et de la souffrance, qui en découle pour les gens ordinaires.3

La réaction vive du public vis-à-vis de l’action et de l’inaction devant des choix politiques aussi difficiles prouve que l’approbation du public ne devrait servir d’indication que dans une certaine mesure et que le mandat confié aux dirigeants par voie électorale est ce qui fait la différence entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. 

Le leadership est une composante, dont l’objectif principal n’est pas de sortir une élite de la misère d’où elle vient, mais de l’amener à choisir une bonne voie, à faire attention aux moindres détails, à inspirer les autres et à les diriger. Lorsque les cortèges, les gyrophares bleus et autres avantages deviennent la façon dont les autres perçoivent le travail, cela engendre de mauvaises attentes et de mauvaises incitations. Un dirigeant d’un pays très pauvre d’Afrique australe qui se fait conduire dans une Bentley et se fait attacher sa ceinture de sécurité par quelqu’un d’autre illustre précisément le type de message à ne pas faire passer.

Beaucoup de choses ont été écrites sur ce qui ne va pas, mais très peu sur les moyens d’y remédier. 

Une brigade de lumière bleue

Un "escorte de la brigade lumière bleue" escortant un VIP. Photo : X/MDN News

Pistes pour réussir

Comment créer un cycle positif d’opportunités, d’investissements, de croissance, de stabilité, de commerce, de compétences, de santé, de gouvernance et d’inclusion et, ce faisant, encourager un continuum de meilleurs choix ? Quelle est l’économie politique du changement – quels choix politiques permettent à l’économie de se développer plus rapidement et de manière inclusive ?

La clé pour résoudre cette énigme de la croissance et du développement économiques est de veiller à ce que la politique permette ce changement et qu’il y ait quelqu’un au pouvoir capable d’apporter ces changements nécessaires. Il est ensuite impératif d’encourager la capacité de l’individu à résoudre spontanément les problèmes, plutôt que de se contenter d’identifier les problèmes et de prêcher les solutions. Quelqu’un doit faire bouger les choses. Pour ce faire, il convient de comprendre où et comment le gouvernement ne doit pas agir. Cela suppose de trouver la formule pour une meilleure gouvernance, que celle-ci passe par un État fortement centralisé ou, dans le cas des plus grands pays, par un transfert de pouvoirs au niveau des organismes gouvernementaux – villes, municipalités et/ou provinces – et de déterminer les domaines où elle s’applique, allant de la fiscalité au maintien de l’ordre.

La façon dont le gouvernement conçoit et adopte un modèle de recettes réaliste pour assurer son financement et celui de son programme est cruciale pour un développement à long terme.

L’incapacité à investir suffisamment dans le bien-être, l’éducation et la santé de la population ou dans les actifs corporels, et notamment l’électricité et les transports, déterminera la trajectoire de croissance à long terme.

Un excès de dépenses dans les infrastructures risque de nuire à la stabilité politique ; de même, un excès de dépenses dans la bureaucratie et la consommation risque d’affaiblir l’économie en raison des défaillances de l’infrastructure. Mais il faut bien que quelqu’un paie pour les dépenses que le gouvernement choisit d’effectuer. En général, la privatisation – ou au moins la mise en concession des actifs de l’État, si ce n’est la vente pure et simple – offre une solution technique relativement facile pour remédier à un manque d’efficience. Cependant, cette solution peut souvent se retourner contre les autorités politiques, la perte de contrôle des actifs nationaux et la tarification des services sur le marché étant perçues comme entraînant une augmentation des coûts pour des consommateurs déjà stressés, ce qui creuse les disparités en termes de richesse et aggrave les difficultés pour accéder à une économie moderne. Une autre solution consiste à autoriser le secteur privé à construire, posséder et exploiter de nouveaux actifs pendant une période déterminée, en donnant aux citoyens le pouvoir de choisir. Ce modèle ne peut fonctionner que si les pouvoirs publics accordent des conditions relativement généreuses, sans lesquelles le secteur privé refusera d’investir. 

Trouver une formule appropriée, c’est aussi s’interroger sur le rôle que devrait jouer l’État dans l’octroi de licences et la réglementation des entreprises. Une telle formule soulève la question de savoir si et comment l’État doit être impliqué dans la fourniture de biens publics, tels que les transports, l’électricité et le logement. Elle cherche à déterminer où placer la limite en termes de viabilité fiscale, comment réduire la dette tout en maintenant les dépenses sociales en faveur des plus vulnérables et à promouvoir l’investissement en capital plutôt que la consommation. Elle tente de savoir si les hommes politiques peuvent devenir des agents du changement, plutôt que la source du problème. Il ne sera jamais facile d’abandonner les intérêts acquis qui assurent le pouvoir mais empêchent le changement. Voilà qui explique comment le cercle vicieux de la pauvreté, des coûts élevés, des faibles niveaux de compétences, des investissements limités, d’une logistique médiocre et coûteuse, d’un mauvais accès au marché, d’une faible croissance, de la violence et de l’exclusion sociale prévaut dans de nombreux contextes africains.

Très souvent, la réponse à la question de savoir ce qui distingue les pays très performants des autres se résume à « un bon leadership ». On peut ignorer le fait que cet argument soit souvent suivi de fanfaronnades au sujet des « dictateurs bienveillants », ne serait-ce que parce qu’en Afrique, il n’y a eu aucun cas de ce genre et que les dictateurs se sont, dans presque tous les cas, montrés encore plus mauvais en matière de gouvernance et de développement que leurs homologues démocratiquement élus. Comme indiqué dans l’introduction, lorsque les gens veulent un Lee Kuan Yew, ils se retrouvent le plus souvent avec un Jean-Bédel Bokassa, un Idi Amin ou un autre scélérat du genre, aussi brutal qu’incompétent. 4Aujourd’hui, ils pourraient se retrouver avec une version de gouvernance différente, moins violente, où le règne de la peur est éclipsé par le « règne de la manipulation », pour reprendre l’expression de Sergei Guriev et Daniel Treisman, mais où seul un simulacre de démocratie (électorale et non libérale) et de libre arbitre est autorisé.

Pourtant, la plupart des Africains rejettent massivement les régimes autocrates.

Près des trois quarts des Africains préfèrent vivre sous un régime démocratique

Près des trois quarts des Africains interrogés préfèrent vivre dans un régime démocratique, même si - ou peut-être parce que – plus de 90 % des Africains vivent aujourd’hui dans une forme d’autoritarisme.5 Dans de tels contextes autocrates, l’absence de responsabilité institutionnelle et de débat public en dit long sur les raisons pour lesquelles une grande partie de l’Afrique n’a pas connu de succès en matière de développement. 

Mais quelles sont les qualités qui définissent un « bon » dirigeant ? Peut-on fabriquer des dirigeants, ou du moins les former et les façonner pour qu’ils deviennent un modèle d’efficience et de compassion ? Existe-t-il des modèles pertinents qui transcendent la géographie, l’histoire, la race et la religion ? Dans quelle mesure faut-il faire preuve d’attention aux détails et de microgestion, avoir la mainmise, et dans quelle mesure les dirigeants devraient-ils déléguer leur autorité ? Les bons dirigeants sont censés établir des priorités, mais quels sont les facteurs qui déterminent une « priorité » et quels sont les éléments qui pourraient être les mieux à même d’aider un dirigeant à la résoudre ?

Exemple de pays

Flag

Argentine

L'Expérience Argentine

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La primauté du leadership

Nous connaissons mieux, et souvent au prix d’un grand sacrifice, les qualités des mauvais dirigeants. Edgar Lungu, par exemple, avec ses allures de Président détaché et hébété, a contribué parallèlement au recul économique de la Zambie à un moment où le pays aurait dû connaître un boom, en raison de la hausse des prix de son principal produit d’exportation, le cuivre, et de la possibilité de contracter des prêts à des conditions avantageuses sur les marchés internationaux. Au lieu de cela, la manne a été dilapidée et l’argent emprunté a été volé, à mesure que le clientélisme et la flagornerie devenaient le système de fonctionnement du gouvernement. Le style de leadership de Hichilema fait contraste, mais la bureaucratie présente ses propres défis dans un milieu où les intérêts égoïstes et personnels l’emportent généralement sur tout le reste. 

Volodymyr Zelenskyy

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy. Photo : Flickr/Président de l'Ukraine (PDM 1.0)

Nous savons que le leadership peut faire la différence. Prenons un autre exemple : L’Ukraine face à l’Afghanistan. Il s’est avéré qu’un comédien, un homme connu avant l’invasion russe de 2022 sous le nom de « Président de la télévision », Volodymyr Zelenskyy, avec 40 % d’avis favorables avant la guerre en raison de son (manque de) gouvernance, était un homme de la trempe de Churchill, qui a obtenu 91 % d’avis favorables à la fin de la deuxième semaine du conflit.

Sa capacité à transmettre son leadership s’est avérée un élément clé de ses premiers succès contre l’invasion russe.

Zelenskyy semble parfaitement qualifié et entraîné pour ce rôle, où chaque aspect de son apparence, de ses actions et de ses paroles a été calibré pour un effet public maximal : le T-shirt de combat, l’aspect mal rasé et sans sommeil d’un homme qui travaille 24 heures sur 24, et ses phrases chocs. Qui peut oublier sa remarque « J’ai besoin de munitions, pas d’une voiture », en comparaison directe et évidente avec le Président afghan Ashraf Ghani, qui a fui son pays lorsque la pression s’est intensifiée ?

« J’ai besoin de munitions, pas d’une voiture »

Le modèle de leadership de Zelenskyy a instantanément renforcé le sentiment d’appropriation de l’Ukraine par rapport au conflit, malgré la taille écrasante de son ennemi russe, dont la population est presque quatre fois plus importante et l’économie dix fois supérieure. En comparaison, les Afghans ne se sont jamais appropriés le problème et donc la solution, une faiblesse dont témoigne l’effondrement soudain et catastrophique du gouvernement d’Ashraf Ghani en août 2021. Les Ukrainiens, eux, l’ont fait. Ils sont dotés d’un type de pouvoir d’action que le Président Ghani et son prédécesseur Ahmed Karzai ne pouvaient que rêver d’avoir. L’orientation des politiques découle du leadership et de la manière dont il se présente et interagit avec le public - par l’intermédiaire des médias et d’autres institutions de l’État.

Président de l'Ukraine Volodymyr Zelenskyy

Volodymyr Zelenskyy à Boutcha dans la région de Kyiv en 2022, où des massacres de civils ont eu lieu pendant l'occupation par les troupes russes. Photo : Flickr/Président de l'Ukraine (PDM 1.0)

Zelenskyy a dû risquer sa vie pour combattre un envahisseur autocrate. Le fait d’aller au combat pour défendre la démocratie - que ce soit sur le plan militaire ou autre - a sans aucun doute permis d’apprécier à sa juste valeur la différence entre la liberté et l’absence de liberté.

Malgré toutes les différences de style et le fossé qui sépare les dirigeants autocrates des dirigeants plus démocrates, plusieurs caractéristiques sont immuables. Celles-ci valorisent généralement la délégation, la connaissance professionnelle, l’innovation et l’utilisation de la technologie, l’autodiscipline, l’intégrité morale, la curiosité intellectuelle et la capacité à travailler avec d’autres, tant dans leur pays qu’à l’extérieur. Même si certains accordent plus d’importance à l’impitoyabilité, à la volonté de fer, à l’allégeance politique et à la discipline, les dirigeants devraient constituer une équipe puissante de cerveaux et de compétences qui viennent compléter leurs propres aptitudes plutôt que satisfaire leurs insécurités. Pour cela, il faut faire preuve de suffisamment d’humilité pour écouter et apprendre, afin que le leadership puisse s’adapter et s’ajuster en permanence à une époque des plus dynamiques. 

La personnalité est importante, tout comme la politesse et les bonnes manières, qui permettent de rassembler les autres autour de soi.

Comme l’a fait remarquer Lee Kuan Yew, le fondateur du Singapour moderne, « on ne perd rien à être poli ».

Lee Kuan Yew

Lee Kuan Yew. Photo : Tatarstan.ru (CC BY 4.0)

Cette dimension humaine du leadership et des relations est essentielle, car le défi pour les personnes extérieures n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent faire et encore moins de leur dire ce qu’ils font mal. Cette attitude est inévitablement perçue comme condescendante et contre-productive. Le secret consiste plutôt à établir les relations qui permettent de changer les choses. 

D’un point de vue personnel, il est fondamental, à tous les niveaux de leadership, de faire preuve d’une véritable attention à l’égard de ceux ou celles que l’on dirige, tout comme il convient de respecter les pouvoirs de délégation, d’avoir une connaissance professionnelle de tous les aspects de l’administration, d’accepter d’innover, de faire preuve d’autodiscipline, de probité morale et d’être capable de travailler avec d’autres personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de son gouvernement et de son pays. Tout dépend également de la phase de gouvernement dans laquelle une personne se trouve: souhaite-t-elle s’arrêter pour remédier à un échec, lancer et mener à bien des réformes, ou construire sur une base de croissance solide préexistante. Certains ne sont pas aussi chanceux en raison de la nature de ce qu’ils héritent.7

La capacité à travailler avec d’autres, à maintenir la collégialité mais aussi à décider d’une ligne de conduite et à la poursuivre sans relâche est plus difficile mais particulièrement nécessaire dans les pays en proie à la division et à l’absence de confiance entre les races, les religions, les tribus, les zones géographiques et entre le secteur public et le secteur privé. 

L’image cultivée par des personnalités telles que le maréchal Bernard Montgomery ou le général américain George Patton, pour prendre deux exemples tirés du milieu militaire, ou par des personnalités telles que Mobutu Sese Seko et Donald Trump dans un contexte politique, celle d’un individu qui se donne en spectacle, peut canaliser l’autorité de manière positive, mais la mise en scène doit être délibérée et non motivée uniquement par l’ego. Les gros titres sont nécessaires, comme le montre Zelenskyy, mais uniquement pour capter l’attention du public et orienter le débat dans l’intérêt de la mission.

Le maréchal Bernard Montgomery, le général George Patton, Mobutu Sese Seko et Donald Trump

Le maréchal Bernard Montgomery, le général George Patton, Mobutu Sese Seko et Donald Trump. Crédits photo, de gauche à droite : Flickr/Archives New Zealand (CC BY 2.0), Flickr/TXZeiss (CC BY-NC-ND 2.0), Archives nationales néerlandaises (CC BY-SA 3.0 NL), Flickr/Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0)

Il n’est pas nécessaire de jouer ouvertement à l’autocrate ; croire que l’obtention des meilleurs résultats exige des méthodes autocrates peut en fait être un signe de faiblesse. Il est nécessaire d’amener les gens à la même conclusion par l’explication et l’incitation, plutôt que par la coercition. Les dirigeants doivent être fermes, mais ils ne doivent pas être terriblement grossiers. Cette attitude témoigne d’une autodiscipline intérieure qui permet de contenir l’ego. 

David Petreaus, qui a commandé des forces multinationales en Irak et en Afghanistan, et qui a été brièvement directeur de la Central Intelligence Agency (Agence centrale de renseignements), affirme que le leadership « stratégique » comporte quatre tâches.

La première d’entre elles

« est d’avoir les bonnes grandes idées ».

La deuxième,

dit-il, « est de les communiquer efficacement à tous les niveaux de l’organisation. »

La troisième

consiste à superviser leur mise en œuvre.

Enfin, la quatrième

consiste à déterminer comment les grandes idées doivent être affinées, modifiées, augmentées, puis à répéter le processus encore et encore et encore.8

Les idées sont toutefois insuffisantes. Il faut les mettre en œuvre.

Dans cette optique, l’accent est mis sur les personnes qui possèdent la capacité de réfléchir à leurs propres succès et échecs, d’assimiler tous les détails « sous le capot » nécessaires à cet effet et de transformer les idées en actions. 

Le général David Petraeus s'adressant aux troupes américaines en Afghanistan en 2010.

Général David Petraeus

Cela nécessite généralement de tempérer les ambitions, de réduire le nombre de tâches et d'y affecter des personnes clés, de mener ces tâches à bien et de continuer à bâtir sur cet élan. Bien entendu, cette approche ne sera jamais à la hauteur de l'ambition, mais elle peut faire la différence et éviter l'épuisement et l'échec. Il y a des forces à avoir de grandes idées en administration et à les voir aboutir. 

Comme le fait remarquer Nick Carter, l'ancien chef d'état-major des forces armées britanniques, il est impératif de « bien réfléchir aux choses et d'aller jusqu'au bout ». Cela nécessite de consacrer des ressources suffisantes à la tâche, y compris une dose de volonté politique. Concrètement, il existe un danger d'annoncer un projet et de s'attendre ensuite à ce qu'il soit livré. D'expérience, ce n'est là qu'une fraction de la tâche à accomplir. Beaucoup d'agitation et de sueur sont nécessaires pour s'assurer que le travail est fait, impliquant beaucoup plus de transpiration que d'inspiration.

Une qualité essentielle du leadership est d'accepter la responsabilité d'une défaite. Si une mission – ou un plan – échoue, et que les gens ont fait leur travail, alors la responsabilité ultime repose sur la personne au sommet. Peu de dirigeants politiques sont enclins à le faire, et la plupart préfèrent se décharger de la responsabilité. Mais comment peuvent-ils apprendre de leurs erreurs si leur égo ne leur permet pas de les identifier ? Bradley a averti que :

« C'est une grave erreur pour un dirigeant de s'entourer de personnes qui acquiescent à tout. » 

Comme Hichilema en Zambie, Zelenskyy est probablement essentiel au succès de l'Ukraine, notamment en récoltant du soutien pour transformer cela en une cause digne et réalisable. Mais son leadership seul, bien que nécessaire, est insuffisant pour gagner la lutte.

Les dirigeants sont ceux qui reconnaissent la nécessité de construire des institutions pour poursuivre leur travail, et non pas simplement en faire une affaire personnelle. 

Mais cela signifie aussi se prémunir contre l'auto-illusion institutionnelle. Cela nécessite, à son tour, plus que d'avoir les personnes les plus brillantes autour de vous, mais aussi celles présentes et engagées dont le courage empêche l'institutionnalisation et la conspiration de l'optimisme, où les faits et les retours aux dirigeants peuvent souvent être biaisés pour convenir à la narration et définir la loyauté. 

Une sélection minutieuse des priorités, et l'application des ressources à celles-ci, peut créer un autre attribut de leadership renforçant : une tradition de succès. Cela nécessite un esprit de débrouillardise, mais, plus que cela, une capacité à apprendre à identifier et à reconnaître ce qui a fonctionné et ce qui a échoué, et donc ce qui est nécessaire pour gagner. 

Faire preuve d'une honnêteté brutale envers les dirigeants politiques est précisément ce que la haute direction de l'armée américaine a échoué à faire au Vietnam, à dire la vérité au pouvoir. Non seulement cela exige un leadership politique prêt à reconnaître ses propres limites (ce qui est, d'expérience, peu fréquent), mais cela demande également à des outsiders d'avoir le courage de leurs convictions, ainsi que les moyens personnels et institutionnels de construire le contexte politique parmi vos partenaires. 

En l'absence d'un tel environnement, il a peu importé d'embaucher « les meilleurs et les plus brillants ». Pourtant, malgré la douleur de ce rappel, les dirigeants politiques continuent à tenter de démystifier l'histoire.

L'égoïsme et l'idéalisme sont les deux faces de la médaille du leadership. Mais il y a d'immenses dangers lorsque ces deux forces motrices se déséquilibrent. Un exemple serait de permettre à de jeunes néophytes charismatiques et brillants au sommet de croire qu'ils en savent mieux, et qu'ils, seuls, savent lire les gens, gagner leur confiance et faire pencher leurs opinions, que les experts « ne font que lire des livres », que l'histoire est inutile et insensée et que si les dirigeants s'entendent, les pays s'entendront.[9] Les politiciens interfèreront toujours, car la confiance en soi est la façon dont ils ont d'abord accédé au pouvoir. Ces personnalités ne sont pas prêtes à écouter. Mais cela n'est pas aidé par la pensée de groupe et la faiblesse des dirigeants à voir l'obéissance comme de la loyauté. 

Traduire cela dans les contextes administratifs et politiques où la capacité est faible, la politique fracturée et les institutions effilochées, il est nécessaire d'obtenir une intégration plus étroite entre les différents éléments de la stratégie : les objectifs, les moyens et les méthodes.

Bien qu'une grande vision soit importante, il est impératif de se concentrer sur de petits résultats livrables, mais ceux qui sont suffisamment importants pour faire avancer les choses. 

La leçon de la mise en œuvre d'un redémarrage dans le secteur minier en est un exemple. Et à partir de là, ces changements peuvent être consolidés, renforcés et, à mesure que les réformes prennent de l'élan, s'étendre progressivement à d'autres domaines. Comme Lee Kuan Yew l'a rappelé à Obasanjo sur les raisons du succès des réformes de Singapour, il n'y avait pas de miracles, mais :

« Nous avons bien fait quelques choses, et avons continué à bien les faire, en les élargissant et les approfondissant constamment. ».[10]

La personne qui gère cela est le leader qui peut soigneusement prioriser ses actions et marier ses ressources, qui a une compréhension ferme des détails ainsi que la capacité de voir l'ampleur d'une image plus large, qui fait confiance à suffisamment de personnes autour de lui pour accomplir les tâches sans perdre le contrôle, qui ne craint pas les arguments contraires (au moins en privé) en voyant la loyauté non seulement à travers le prisme de l'accord, qui agit, comme Margaret Thatcher, pour réaliser son mandat plus que pour tenter de maintenir un consensus, et qui a un souci aigu de l'exécution.

Omar Bradley

Général Omar N. Bradley. Photo : The Bradley Center

C’est à Omar Bradley que devrait revenir le dernier mot sur le leadership, un général qui avait conscience de la valeur immuable des aspects pratiques vis-à-vis des aspects théoriques en temps de guerre et qui affirmait : Les amateurs parlent de stratégie, mais les professionnels parlent de logistique.’ Pour Bradley, un dirigeant doit être polyvalent et avoir un plan. 11

L’une des dimensions diplomatiques du leadership consiste à rallier les principaux partenaires.

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Lesotho

Une remise à zéro audacieuse s’impose au Lesotho

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Créer une convergence d’intérêts mondiaux

En juin 1947, dans un discours prononcé à l’université de Harvard, le secrétaire d’État américain George Marshall a proposé aux pays européens d’élaborer un plan de reconstruction économique auquel les États-Unis apporteraient une aide financière.

Général Marshall le jour du célèbre discours du plan Marshall

Le général Marshall le jour du célèbre discours du plan Marshall. Photo : Flickr/OCDE Organisation de coopération et de développement économiques (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Archives générales du gouvernement des États-Unis Plan Marshall (1948)

Loi du 3 avril 1948, Acte de relance européenne, également connu sous le nom de plan Marshall. Photo : Archives nationales et administration des dossiers

Six mois plus tard, le Président Harry Truman signait la loi intitulée Economic Recovery Act, connu sous le nom de plan Marshall, en vertu duquel les États-Unis ont transféré plus de 13 milliards de dollars – soit environ 150 milliards de dollars en 2023 – à seize pays européens avant que ce plan ne prenne fin en 1952.

L'impact immédiat et positif du plan Marshall a été tel que Truman a proposé un programme d'aide au développement international en 1949, qui est devenu l'USAID en 1961. Aujourd'hui, l'aide publique au développement – l'aide apportée aux pays en développement par les pays développés – s'élève à 185 milliards de dollars par an, sans compter les flux privés et les fonds qui proviennent de bailleurs non traditionnels, notamment la Chine, la Turquie et le Moyen-Orient. 

Aide publique au développement 185 milliards de dollars par an

Le plan Marshall a connu un grand succès en termes d’objectifs. Les pays européens concernés ont vu leur production augmenter de 35 % en 1952, devenant ainsi un rempart contre l’expansion communiste. Dans un cercle vertueux, cela a créé des marchés croissants et fiables pour les produits américains (où une grande partie des fonds a été dépensée), améliorant ainsi la stabilité sociale et politique de l’Europe, tout en favorisant la reprise économique. 

Répartition des fonds du plan Marshall en Europe, 1948-1951

Répartition des fonds du Plan Marshall en Europe, 1948-1951

*Trieste : Territoire indépendant, 1947 - 1954, finalement divisé entre la Yougoslavie et l'Italie.
Source de la carte : USAID

Le plan Marshall a fonctionné parce qu'il s’est appuyé sur les capacités humaines existantes, et que les partenaires européens étaient prêts - en fait, désespérés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale - à jouer leur rôle. La mise en place de fonds de contrepartie en monnaie locale a constitué une source cruciale d’investissements industriels, en particulier en Allemagne de l’Ouest. 

Le succès a été tel que le plan Marshall est devenu une métaphore pour les projets d’aide au développement à grande échelle, spectaculaires et transformateurs, en particulier en Afrique. La formule "Nous avons besoin d’un plan Marshall" est devenue un paramètre rhétorique par défaut pour les politiciens en manque d’imagination à la recherche d’une réponse radicale à une situation difficile en termes de développement.

Mais trois problèmes se posent.

Premièrement,

le plan Marshall s’est appuyé sur des compétences préexistantes. Malgré tous les dégâts causés par la guerre, il y avait encore beaucoup d’Allemands hautement qualifiés et dotés de compétences techniques capables de réparer les dégâts. Le plan Marshall a fourni, dans un premier temps, des liquidités pour acheter des denrées alimentaires, du carburant et d’autres produits de consommation essentiels, puis des biens d’équipement ainsi qu’un accès aux marchés pour la production locale. Cet accès existe déjà pour l’Afrique. Ce qui n’existe pas, c’est le réservoir de compétences techniques et technocratiques et un cadre de gouvernance capable de les utiliser. 

L’absence de ces éléments internes de compétences, de gouvernance et de capacité peut être observée dans le ratio maximal d’aide au PIB en Europe sous le plan Marshall (2,5 %) comparé à l’Afrique ( hormis les deux plus grandes économies que sont l’Afrique du Sud et le Nigéria) <em>aux alentours de</em> 2020 (5 %).12 Ajouter de l’argent ne permettra pas en soi de pallier ces pénuries de productivité – en particulier la pénurie de capacités et de compétences institutionnelles. 

Deuxièmement,

les Européens étaient des partenaires volontaires et avaient l’intention de jouer leur rôle dans le redressement. En comparaison, l’aide à l’Afrique a échoué parce que les Africains l’ont perçue moins comme une incitation à la réforme et un investissement dans le changement que comme une forme de compensation. Elle a également échoué dans la mesure où les tentatives externes d’imposer des conditions (un aspect clé du plan Marshall) se sont avérées impossibles en Afrique. La raison en est, en partie, que les politiciens locaux se sont montrés particulièrement habiles à tout mettre sur le compte de la culpabilité coloniale et raciale, et que les Européens n’ont pas eu le courage d’appliquer le principe du « c’est à prendre ou à laisser ». L’impératif stratégique de la guerre froide a réduit ces conditionnalités, où la fiabilité était moins déterminée par l’adhésion aux normes de gouvernance que par le soutien à l’une ou l’autre partie. 

Troisièmement,

les acteurs internationaux peuvent jouer un rôle utile dans le développement, et ce rôle ne se limite pas seulement au niveau du financement (qui est bénéfique, à condition qu’il soit davantage consacré à des biens d’équipement à bon prix qu’à des biens de consommation), il s’applique aussi au niveau de l’accès au marché à moindre coût (une augmentation des échanges équivaut à une augmentation de la croissance), et en tant qu’outil de discipline externe. 

C’est dans ce dernier volet – en tant qu’outil de discipline extérieure – que l’intégration présente sans doute les plus grands avantages à court terme, en dehors de la nécessité évidente d’accélérer les échanges transfrontaliers en se concentrant sur la suppression des obstacles physiques aux frontières qui ne fonctionnent pas bien, plutôt que sur des programmes qui visent à réduire les droits de douane à long terme. 

Un politicien espagnol a fait observer brièvement le rôle de Bruxelles dans la politique fiscale nationale en ce qui concerne les habitudes dépensières de l’administration Zapatero (2004-2011) :

« L’UE est un vaccin contre les politiciens nationaux irresponsables. »

Premier ministre José Luis Rodríguez Zapatero

Premier ministre José Luis Rodríguez Zapatero. Photo : Flickr/Parlement européen (CC BY-NC-ND 2.0)

C'est correct pour la politique européenne tout autant que cela l'a été, aussi, pour le Mexique dans le contexte de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Le défi pour les instances étrangères qui travaillent avec l’Afrique et d’autres marchés relativement peu mondialisés est d’imaginer un système d’avantages réciproques allant au-delà des préférences commerciales fondées sur la culpabilité étrangère et le désespoir local, pour aboutir à un système qui relie des aspects plus larges tels que la croissance et le développement. 

Ces relations doivent inclure l’élimination des barrières commerciales, mais aussi la protection de la propriété intellectuelle, la protection de l’environnement et du travail, les bourses universitaires, les dispositions relatives aux visas, l’aide aux infrastructures et aux soins de santé, ainsi que la collaboration en matière d’ordre public. 

L’objectif global des processus d’intégration doit être, comme dans le cas de l’Europe et du Mexique, d’accéder à des marchés plus riches.

C’est également de cette manière que l’Asie s’est développée, en fournissant des produits bon marché aux marchés plus riches, en utilisant dans un premier temps son différentiel de coût de main-d’œuvre. Dans la mesure où 97,2 % de l’économie mondiale se trouve en dehors de l’Afrique, par exemple, et près de 40 % rien qu’aux États-Unis et dans l’UE, l’objectif du continent doit être de réduire les entraves au commerce avec le monde extérieur - comme l’a fait le Maroc - au moins autant qu’entre les pays du continent. 

Par le passé, à l’époque impériale, les intérêts extérieurs vis-à-vis de l’Afrique étaient portés par un caucus et le croisement des intérêts des politiciens, des fonctionnaires et des hommes d’affaires. À cette époque, la politique était axée sur le maintien de l’ordre public, la perception d’impôts pour financer l’administration de la colonie, la stimulation de la production de matières premières destinées à l’exportation vers la puissance coloniale et l’établissement d’un marché de consommation pour l’achat de produits manufacturés en retour. Ces pays représentaient, comme nous le rappelle Frederick Forsyth dans sa réflexion sur l’insensibilité de la hiérarchie britannique dans la guerre civile nigériane, « non pas une terre avec une population de personnes réelles, mais un marché ».

Toute menace à l’encontre du marché devait être découragée, même si cela impliquait d’ignorer les processus démocratiques et les droits humains. 

Cette indifférence s’est perpétuée au cours de la période postcoloniale. La politique est généralement basée non pas sur le soutien aux populations locales et à leurs besoins, mais sur le maintien d’intérêts extérieurs par le biais du régime local en place. Ce constat ne devrait pas surprendre l’Afrique ; il ne revient pas aux instances étrangères de s’intéresser plus à la fortune et au bien-être des Africains qu’au maintien de leurs propres intérêts stratégiques et commerciaux.

Les instances étrangères ont en outre compris qu’il était possible de ne traiter qu’avec une petite élite et que le contrôle (ou l’influence) de la capitale était synonyme de contrôle du pays. D’où le peu d’intérêt pour la promotion de la gouvernance, en particulier pour la gouvernance représentative, et pour l’administration que cela suppose dans les provinces. 

À l’époque contemporaine, l’optimisme à l’égard des projets de développement impulsés de l’extérieur est donc rarement fondé sur ce qui est le mieux pour les populations locales. Après tout, celles-ci ne sont pas le principal groupe d’intérêt des puissances extérieures. L’idée est plutôt de préserver les intérêts de ces dernières. Pour que les Africains, par exemple, ne se fassent pas avoir dans ce processus, il faut que leurs gouvernements interviennent dans une certaine mesure, et lorsque cette intervention échoue, comme c’est souvent le cas, il faut que la société civile africaine intervienne. Il en est de même pour le rôle des entreprises ; il est rare que les entreprises tombent sur un gouvernement qu’elles n’apprécient pas. Il appartient aux démocrates de leur demander des comptes, notamment par le biais des institutions créées à cet effet : les tribunaux, le parlement et les médias. 

Ainsi, les extrêmes qui pensent que le salut viendra de l’extérieur, ou que le problème se situe en dehors du continent, sont à côté de la plaque. L’Afrique, en particulier, dépense trop d’énergie dans ce domaine politique, notamment parce qu’externaliser la solution (et donc le problème) contribue à détourner l’attention des échecs des acteurs nationaux. D’où le temps disproportionné consacré à l’évasion fiscale et aux récits de conspiration sur le rôle des entreprises multinationales et l’externalisation des bénéfices. L’attention devrait plutôt se porter sur les choses que les acteurs nationaux peuvent plus facilement changer, notamment l’amélioration de la productivité et la réduction des frictions entre entreprises. 

Pour ce faire, il faut aligner la politique et sa mise en œuvre sur un programme de croissance économique. 

La sous-performance engendrée par l’incompétence et le manque de redevabilité n’a rien à voir (ou très peu) avec les pratiques et les acteurs extérieurs. Et chercher à obtenir une plus grande part des acteurs extérieurs n’est pas la voie à suivre; au contraire, cela ne fera qu’accroître la pénurie. Même si l’impôt sur les sociétés était porté à 100 %, si le respect des obligations fiscales était universel et si l’externalisation des bénéfices était réduite à zéro, il n’y aurait pas d’amélioration de la productivité ni de croissance économique, car « une économie ne croît pas grâce aux impôts, mais grâce à la production de biens et de services ».15 Les contraintes politiques et les coûts qui accompagnent les meilleurs choix, le renforcement des incitations et l’abstraction de toute excuse pour privilégier un programme de croissance restent, en ce sens, l’obstacle majeur au développement. 

Il existe d’autres limites au rôle des instances étrangères. Leur intérêt à remédier à l’échec ne peut être supérieur à celui des populations locales pour qu’un processus de réforme soit durable.

Ce faisant, l’Afrique doit elle aussi moins compter sur la charité des acteurs extérieurs que sur leur intérêt à gagner de l’argent. 

Le colonialisme, qui avait sa propre routine d’extraction et de déresponsabilisation locale, a sans aucun doute contribué à la façon dont les intérêts locaux perçoivent les avantages du changement et le rôle des instances étrangères. Les actions qui contribuent à ce manque de confiance et au sentiment de manque de respect ne sauraient être d’un grand secours. Le problème réside également dans la tendance des élites locales à voir le monde à travers le prisme de la suspicion et de la conspiration, une perspective néo-mercantiliste totalement en contradiction avec le fonctionnement de l’économie mondiale, comme l’indiquent les études de cas positives présentées dans ce volume. D’une manière ou d’une autre, ces intérêts acquis et ces opinions contraires à la réforme doivent être gérés de manière à ce qu’ils deviennent relativement insignifiants sur le plan politique, en respectant les promesses qui ont été faites. 

La différence entre un gouvernement de type inclusif plutôt que de type extractif implique donc d’apprendre à utiliser la politique à des fins économiques et à ne pas laisser les élites, l’histoire ou les intérêts bien ancrés dicter l’éventail des choix possibles. Cette démarche doit également être menée de l’intérieur, même si elle peut être facilitée par des outils et des institutions d’intégration externe.

L’exercice du leadership dans la définition des priorités et leur mise en œuvre jusqu’au bout, ainsi que l’étendue de l’intégration externe, font la différence entre la réussite et l’échec, entre les États riches et les États pauvres. 

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Afrique du Sud

Que faire une fois au pouvoir ?

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Danser avec les indépendantistes : Les leçons de la coalition espagnole

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Peut-on débloquer le Malawi ?

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1 Ce chapitre est tiré de Greg Mills, Rich State, Poor State: Why Some Countries Succeed and Others Fail. Johannesburg: Penguin Random House, 2023.

2 Entretien avec le Vice-Premier ministre Artis Pabriks, Riga, octobre 2022.

3 Je remercie Tommy Koh pour cette précision. 

4 Sergei Guriev et Daniel Treisman, Spin Dictators: The Changing Face of Tyranny in the 21st Century. Princeton: Princeton University Press, 2022.

5 ‘Do Africans Want Democracy — and Do They Think They’re Getting It?’ Afrobarometer, 2 novembre 2021, https://www.afrobarometer.org/articles/do-africans-want-democracy-and-do-they-think-theyre-getting-it/.

6 Voir David Remnick, ‘The Weakness of the Despot: An Expert on Stalin Discusses Putin, Russia, and the West’, The New Yorker, 11 mars 2022, https://www.newyorker.com/news/q-and-a/stephen-kotkin-putin-russia-ukraine-stalin. 

7 Al Murray, Command: How the Allies Learned to Win the Second World War. London: Headline, 2022. See also James Holland, Together We Stand: North Africa, 1942–1943: Turning the Tide in the West. London: HarperCollins, 2005, esp. pp. 674–6.

8 Voir https://www.belfercenter.org/sites/default/files/files/publication/DavidPetraeusTranscript.pdf.

9 Nous remercions le Dr James Sherr pour ses commentaires. 

10 Cette déclaration a été relayée par le Président Olusegun Obasanjo lors de sa visite à Singapour avec le African Leadership Forum (Forum des dirigeants africains) en novembre 1993. 

11 Murray, Command, p. 163.

12 Cette comparaison est mise en évidence dans Greg Mills, Expensive Poverty: Why Aid Fails and How It Can Work. Johannesburg: Pan Macmillan, 2021.

13 Voir https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.CD.

14 Frederick Forsyth, The Biafra Story: The Making of an African Legend. Barnsley: Pen & Sword Military, 2015. 

15 Je remercie Sydney Matamwandi pour cette précision. 

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Ghana

Le parcours démocratique du Ghana : Leçons pour les démocrates du monde entier

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Postface

John Steenhuisen prêté serment

Le juge en chef sud-africain Raymond Zondo (à gauche) assermente John Steenhuisen comme ministre de l'Agriculture, lors d'une séance du Parlement sud-africain le 3 juillet 2024 au Cap. Le nouveau gouvernement d'unité nationale de l'Afrique du Sud sous le Président Cyril Ramaphosa est le premier de ce genre dans le pays après 30 ans de règne de l'ANC. Photo : RODGER BOSCH/AFP via Getty Images

L’essor de la démocratie en Afrique australe peut sembler douloureusement lent, mais il est en cours, comme l’ont démontré les récentes élections. En 2024, en Afrique du Sud, après 30 ans au pouvoir, l’ANC a été réduit à 40 % des voix et contraint de former un gouvernement de coalition qu’il qualifie de « gouvernement d’unité nationale ». Cela a provoqué une onde de choc dans la région, énergisant à la fois les partis d’opposition et les électeurs.

En octobre, au Mozambique, les électeurs ont rejeté le Frelimo, qui a ensuite tenté de rester au pouvoir en fabriquant un chaos post-électoral et en s’auto-proclamant victorieux, avec l’appui rapide des autres mouvements de libération pour soutenir ce résultat frauduleux. Un décompte parallèle des résultats des bureaux de vote a clairement montré que l’opposition avait gagné. Cela a été souligné par le grand nombre de personnes descendues dans la rue pour protester.

Ce qui s’est produit au Botswana plus tard, en octobre, était remarquable. Le Parti démocratique du Botswana (BDP), au pouvoir depuis 1966, a été écrasé par l’Umbrella for Democratic Change, qui a relégué le parti au pouvoir à la quatrième place. Là-bas, la dérive vers l’autoritarisme et la poursuite injustifiée de l’ancien président Ian Khama ont conduit à une réaction démocratique.

Le président nouvellement élu du Botswana, Duma Boko, prête serment

Le président nouvellement élu du Botswana, Duma Boko (C), encadré par la Première Dame, Kaone Boko (D), et le juge en chef, Terence Rannowane (G), fait un geste alors qu'il prête serment lors de son investiture au Stade National de Gaborone le 8 novembre 2024. L'assermentation de Boko consacre un changement de gouvernement tumultueux après sa victoire écrasante aux élections, évincant le parti au pouvoir depuis près de 60 ans. Photo : MONIRUL BHUIYAN/AFP via Getty Images

En novembre, en Namibie, le parti au pouvoir SWAPO est passé de 86 % des voix en 2014 à seulement 57 % en 2024, du moins officiellement. Mais de sérieuses questions se posent quant à la façon dont ce résultat a été obtenu, les bureaux de vote étant restés ouverts pendant plusieurs jours durant lesquels le parti au pouvoir cherchait davantage de votes, ce qui a poussé l’opposition à crier à la fraude.

En Tanzanie, les dirigeants de l’opposition, parmi eux Tindu Lissu, ont été arrêtés à plusieurs reprises alors que le pays se rendait aux urnes lors des élections locales en novembre. Le résultat – un incroyable 98 % des sièges remportés par le parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (CCM) – a été fortement remis en question, notamment en raison de la disqualification des candidats de l’opposition et de plusieurs de ses membres.

Toujours en novembre, à Maurice, la voix du peuple a été entendue lors des élections générales où l’Alliance Lepep au pouvoir a été pratiquement anéantie par l’opposition Alliance du Changement, qui a remporté toutes les circonscriptions sauf une. Avec la plus grande marge de victoire depuis près de trois décennies, les principaux enjeux de la campagne étaient centrés sur ceux qui touchaient la population : le coût de la vie, la criminalité et la corruption.

Plus au nord, en Ouganda, Yoweri Museveni termine quatre décennies de règne ininterrompu, marqué par des répressions brutales de l’opposition et des élections truquées. En novembre également, le leader de l’opposition, le Dr Kizza Besigye, a été traduit devant un tribunal militaire pour des accusations absurdes et fabriquées de toutes pièces. Il est clair qu’en Ouganda aussi, le peuple en a assez.

Dans mon propre pays, l’Angola, nous avons déjà vu ce scénario. Lors des dernières élections, en août 2022, il était largement admis par des observateurs indépendants que l’opposition avait gagné. Mais à la suite de manipulations électorales et de décisions judiciaires dépourvues de crédibilité, le parti au pouvoir MPLA s’est maintenu, revendiquant 51 % des voix. Nous avons tiré des leçons de cet épisode et de ces autres coups portés à la démocratie. Mais de nouveaux défis se profilent. En Angola, João Lourenço lutte pour forcer un changement constitutionnel et modifier les statuts de son propre parti afin de prolonger au-delà de deux mandats la limite imposée aux présidents.

Les partisans de l'UNITA et d'autres groupes d'opposition manifestent contre le parti au pouvoir en Angola

Plusieurs milliers de partisans de l'opposition angolaise ont organisé une marche pacifique dans la capitale Luanda le 23 novembre 2024, lors de la première grande manifestation depuis un vote contesté en 2022. La protestation a été organisée par le parti Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA) qui a perdu les dernières élections générales face au Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), qui dirige le pays depuis presque cinq décennies. Photo : JULIO PACHECO NTELA/AFP via Getty Images

D’autres dictateurs africains tentent de faire de même. Ils veulent rester au pouvoir aussi longtemps que possible, même si cela implique de recourir à des coups d’État constitutionnels, un type de pratique qui devrait déclencher des sanctions et un isolement de la part des nations démocratiques. 

Ce qui est clair dans tous ces cas, c’est une audace croissante des autoritaires face à une montée de l’impatience et de la colère parmi leurs populations, en raison de leur incapacité à offrir une vie meilleure.

La démocratie a été utilisée pour transférer le pouvoir dans certains pays et abusée pour conserver le pouvoir dans d’autres.

Le blocage du changement inévitable de leadership en Afrique ne durera pas, même si certains autocrates ont des alliés étranges en Occident, qui semblent placer leurs propres intérêts au-dessus des préoccupations des citoyens ordinaires.

Les grandes puissances considèrent l’Afrique comme une réserve de votes multilatéraux, à manipuler comme des jetons sur une table de jeu. Cela peut rapporter des gains à court terme, mais lorsque le changement surviendra, cet investissement de capital diplomatique dans des régimes en échec se retournera contre eux. 

Quand les gens risquent leur vie pour lutter pour la démocratie, ils méritent le soutien des autres démocraties. Ils sont en première ligne d’une lutte mondiale pour redonner le pouvoir au peuple, mais au lieu de bénéficier du soutien de la communauté des nations démocratiques, ils doivent rester sur leurs gardes, car ceux qui devraient mieux savoir se lient d’amitié avec les autocrates qu’ils combattent.

Mais ne vous y trompez pas, nous remporterons cette lutte pour instaurer l’ouverture, la transparence et la démocratie dans la gouvernance.

C’est ce que veulent la plupart des Africains, et c’est le seul chemin pour accélérer la croissance et l’inclusion économique qui font cruellement défaut. L’histoire de l’Afrique est claire : malgré la tentation de croire aux résultats dictatoriaux des « hommes forts », la seule voie fiable vers la bonne gouvernance et la croissance passe par la démocratie. 

Ce manuel décrit comment y parvenir. 

En conclusion

Foule de personnes faisant la queue pour voter

Les démocrates doivent travailler ensemble pour garantir à nos populations les gouvernements qu'elles méritent et pour lesquels elles votent. Notre expérience au Nigeria est celle d'une absence de gouvernement représentatif : les réformes restent une illusion lointaine et les attentes de générations demeurent insatisfaites. L'expérience démocratique au Nigeria, par exemple, a suscité un profond dégoût parmi la population, car sa volonté est systématiquement écartée dans les processus de gouvernance et de sélection des dirigeants.

En Afrique de l'Ouest, nous faisons face à de sérieux défis pour la démocratie. Plus de dix coups d'État ont eu lieu en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale au cours des 15 dernières années. Des dirigeants élus démocratiquement ont été renversés et remplacés par des gouvernements militaires qui, généralement, ne rendent pas de comptes au peuple.

Les conséquences pour le développement économique et les opportunités des citoyens ont été sévères, tant sous les régimes militaires que civils, en raison du manque apparent de responsabilité des dirigeants.

Comme l'a noté l'économiste lauréat du prix Nobel Daron Acemoglu : « Les preuves suggèrent que la démocratie favorise la croissance et que son effet est significatif et substantiel. Nos estimations indiquent qu'un pays passant de la non-démocratie à la démocratie atteint un PIB par habitant supérieur d'environ 20 % dans les 25 années suivantes par rapport à un pays qui reste une non-démocratie. » La démocratie offre stabilité, sécurité juridique et responsabilité, des éléments essentiels pour encourager les investissements en capital nécessaires au développement des infrastructures critiques et des industries.

Cependant, il est également nécessaire de souligner ici que la démocratie à laquelle nous aspirons est celle où les principes fondamentaux sont scrupuleusement respectés.

Réussir une croissance inclusive qui crée des emplois et donne espoir aux marginalisés doit être l’objectif de chaque Africain. Or, cela est rarement atteint sous des régimes autoritaires où la volonté du peuple prévaut rarement et où des gangs politiques criminels, se faisant passer pour des démocrates, accaparent le pouvoir pour leurs motifs égoïstes.

Quand le pouvoir est concentré entre les mains de quelques-uns qui ne rendent pas compte aux électeurs, les conséquences sont généralement désastreuses pour les gens ordinaires. La vie devient une lutte amère pour survivre en marge, et lorsque cette situation est contestée, la réponse est une répression violente.

Lorsque ces régimes finissent par céder à la pression et organisent des élections, elles se déroulent fréquemment dans un environnement où l'opposition est privée de liberté d'expression et où les fraudes électorales sont monnaie courante. Malheureusement, la communauté internationale détourne souvent le regard, préférant ménager le « diable qu'elle connaît » plutôt que de défendre la liberté et l'équité.

Ce qui est crucial – et ce point est bien abordé dans cette publication dynamique – c'est que les démocrates ne renoncent pas. Abandonner, ce serait condamner des générations à la pauvreté et à l'oppression. Ils doivent au contraire se battre pour rendre les élections libres et équitables et, lorsqu'ils échouent, dénoncer les fraudes pour ce qu'elles sont : des tentatives illégitimes de s'emparer du pouvoir.

Ils doivent lutter pour remporter le vote populaire de manière aussi convaincante que possible, rendant difficile toute manipulation des résultats sans que cela ne devienne évident pour le monde entier.

Ce guide vibrant est une feuille de route pour le renouveau politique en Afrique. Lisez-le, et apprenez.

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À propos des Auteurs

Bobi Wine

Bobi Wine

Chef de l'opposition, Ouganda

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Robert Kyagulanyi Ssentamu, connu sous son nom de scène H.E. Bobi Wine, est un politicien, activiste, chanteur, acteur, entrepreneur et philanthrope ougandais. Depuis le 11 juillet 2017, il est député représentant la circonscription de Kyadondo East dans le district de Wakiso, dans la région centrale de l'Ouganda. Il dirige le mouvement Pouvoir du Peuple, Notre Pouvoir en opposition au président Yoweri Museveni.

Le 24 juillet 2019, Kyagulanyi a annoncé officiellement sa candidature à la présidence pour les élections générales de 2021. Le 22 juillet 2020, il a annoncé qu'il avait rejoint le parti politique d'opposition Plateforme d'Unité Nationale, dont le porte-parole est Joel Ssenyonyi, et a été élu comme son président et porte-drapeau présidentiel pour les élections nationales de février 2021. Actuellement, il est le leader d'un parti politique prominent, PUN, Plateforme d'Unité Nationale en Ouganda.


Greg Mills

Greg Mills

Directeur de la Fondation Brenthurst

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Le Dr Greg Mills dirige la Fundación Brenthurst, basée à Johannesburg, créée en 2005 par la famille Oppenheimer pour renforcer la performance économique africaine.

Il a obtenu des diplômes des Universités du Cap (BA Hons) et de Lancaster (MA cum laude, et PhD), et a été d'abord Directeur des Études puis Directeur National de l'Institut Sud-Africain des Affaires Internationales de 1994 à 2005.

Avec Brenthurst, il a dirigé de nombreux projets de réforme avec des chefs d'État africains, notamment au Rwanda (2007-8), au Mozambique (2005-11), en Swaziland (2010-11), au Malawi (2012-14, et à nouveau 2020/1), au Kenya (2012 et 2020), au Lesotho (2008;2019-20), au Liberia (2006/7), en Zambie (2010; 2016), au Zimbabwe (2009-13), au Ghana (2017), en Éthiopie (2019-20), au Nigéria (2017-18), et presque continuellement à divers niveaux de gouvernement en Afrique du Sud depuis la création de la Fondation.

Il a également fait partie de la Commission Dano-Africaine et du panel de haut niveau sur les États fragiles de la Banque Africaine de Développement, et a effectué quatre déploiements en Afghanistan avec l'armée britannique en tant que conseiller du commandant. Il a également travaillé de manière extensive en Colombie, et avec divers gouvernements africains pour améliorer les conditions pour la construction de la paix et l'investissement, y compris à travers le Protocole du Zambèze sur le secteur des ressources naturelles.

Membre du conseil consultatif du Royal United Services Institute, il est l'auteur des best-sellers Why Africa Is Poor et Africa’s Third Liberation, et conjointement avec le président Olusegun Obasanjo, Making Africa Work: A Handbook for Economic Success. En 2018, il a terminé un second mandat en tant que chercheur invité à l'Université de Cambridge, produisant un livre sur l'état de la démocratie africaine, publié sous le titre Democracy Works en 2019. The Asian Aspiration: Why and How Africa Should Emulate Asia (à nouveau avec le président Obasanjo et l'ancien Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn) a suivi en 2020, identifiant les leçons pertinentes du développement et de la croissance de l'Asie. Ses écrits lui ont valu le Prix Recht Malan pour un travail de non-fiction en Afrique du Sud.

Ses derniers livres – Expensive Poverty – qui détaille les échecs de l'aide, et suggère plusieurs façons d'améliorer les résultats du développement, a été publié par Pan Macmillan en octobre 2021; tandis que The Ledger: Accounting for Failure in Afghanistan a été publié par Hurst/Oxford University Press au début de 2022. Un recueil édité sur Better Choices for the South African economy a également été publié par Pan Macmillan en mars 2022, un autre sur le Populism en août 2022; et un volume sur les scénarios sud-africains The Good, the Bad and the Ugly en août 2023.


Nic Cheesman

Nic Cheeseman

Scientifique politique britannique

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Nic Cheeseman (@fromagehomme) est Professeur de Démocratie à l'Université de Birmingham. Auparavant, il était Directeur du Centre d'Études Africaines à l'Université d'Oxford et est le Directeur Fondateur du Centre pour les Élections, la Démocratie, la Responsabilité et la Représentation (CEDAR) de Birmingham.

Il travaille principalement sur des questions de démocratie, d'élections et de développement, et a mené des recherches dans de nombreux pays africains, notamment le Ghana, le Kenya, le Malawi, le Nigeria, l'Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe, mais a également publié des travaux sur l'Amérique latine et l'Europe post-communiste. Actuellement, il travaille sur deux projets : l'un se concentre sur la compréhension et le soutien à la résilience démocratique à une époque d'autocratisation, et l'autre vise à produire une histoire de la pensée politique africaine.

Les articles qu'il a publiés basés sur cette recherche ont remporté plusieurs prix, y compris le prix GIGA du meilleur article en Études de Zone Comparatives (2013) et le Prix Frank Cass du meilleur article en Démocratisation (2015). Le Professeur Cheeseman est également auteur ou éditeur de plus de dix livres, dont Democracy in Africa (2015), Institutions and Democracy in Africa (2017), How to Rig an Election (2018) – sélectionné comme l'un des livres de l'année par le magazine Spectator – et Coalitional Presidentialism in Comparative Perspective (2018), Authoritarian Africa (2020), The Moral Economy of Elections in Africa (2020) et le Handbook of Kenyan Politics (2020). En outre, il est l'éditeur fondateur de l'Encyclopaedia of African Politics d'Oxford, ancien rédacteur en chef de la revue African Affairs, et a été conseiller et rédacteur pour le Panel de Progrès Africain créé par Kofi Annan. 
En reconnaissance de cette contribution académique et publique, l'Association des Études Politiques du Royaume-Uni lui a décerné le prestigieux Prix Joni Lovenduski pour réussite professionnelle exceptionnelle en 2019. Ces dernières années, il a également reçu le prix Celebrating Impact du Conseil de Recherche Économique et Social pour un “impact international exceptionnel” et le Prix Josiah Mason pour Avancement Académique.

Commentateur fréquent des événements africains et mondiaux, le Professeur Cheeseman est apparu dans l'émission d'affaires mondiales de CNN One World, tandis que son analyse est apparue dans le Economist, Le Monde, Financial Times, Newsweek, le Washington Post, New York Times, BBC et le Daily Nation, ainsi que ses chroniques régulières pour le Mail & Guardian et The Africa Report. Au total, ses articles ont été lus plus de deux millions de fois. Bon nombre de ses interviews et idées peuvent être trouvées sur le site Web qu'il a fondé et coédité, www.democracyinafrica.org. Plus récemment, le Professeur Cheeseman a fait partie de l'équipe qui a lancé la Resistance Bureau, un nouveau webinaire et espace de discussion qui réunit des orateurs de toute l'Afrique pour discuter de la manière dont la démocratie et la liberté peuvent être mieux renforcées et défendues. Visitez This is the Resistance Bureau pour plus de détails et d'épisodes passés.


Ray Hartley

Ray Hartley

Directeur de recherche de la Fondation Brenthurst

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Ray Hartley est le directeur de la recherche à la Fondation Brenthurst. Ray est diplômé avec mention de l'Université de Rhodes, où il a étudié la politique africaine et le journalisme.

Ray a été activiste anti-apartheid au Front démocratique uni tout en faisant partie du comité exécutif de l'Union nationale des étudiants sud-africains. Plus tard, il a travaillé pour le Programme de Conscience Humaine, une ONG fournissant formation et conseil aux activistes. Ensuite, il a travaillé comme administrateur dans les négociations constitutionnelles de la CODESA qui ont mis fin à l'apartheid. Après une période comme correspondant de boxe pour le Weekly Mail de l'époque, il a rejoint Business Day puis le Sunday Times. Il a couvert la présidence de Nelson Mandela, voyageant à travers le monde avec lui et étant témoin de la naissance de la nouvelle Afrique du Sud démocratique.
Il a édité plusieurs journaux et publications en ligne en vue en Afrique du Sud, y compris le Sunday Times, The Times, Rand Daily Mail et BusinessLIVE.

Ray est l'auteur de Ragged Glory: The Rainbow Nation in Black and White, qui raconte l'histoire des deux premières décennies turbulentes de la démocratie en Afrique du Sud. Il a écrit The Big Fix: How South Africa Stole the 2010 World Cup et Ramaphosa: The Man Who Would be King. Ray a également rédigé des chapitres dans Better Choices et In The Name of the People et est co-auteur de The Good, The Bad, and the Ugly: Scenarios for South Africa's Uncertain Future.


Adalberto Costa Jr.

Adalberto Costa Jr.

Membre de l'Assemblée nationale d'Angola

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Président de l'UNITA (Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola); Vice-président de l'IDC-CDI (Union Démocratique Internationale - Internationale Démocrate Centriste); Membre du Parlement Panafricain.

Photo : Lwenapithekus Samussuku (CC BY-SA 4.0)


Leopoldo López

Leopoldo López

Homme politique vénézuélien

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Vénézuélien. Père, époux. Leader national de Volonté Populaire. Cofondateur et secrétaire général du Congrès Mondial pour la Liberté. Engagé pour la liberté du Venezuela.


Paula Roque

Paula Roque

Auteur et Analyste Principal en Afrique Australe

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Paula Cristina Roque, PhD, est l'auteure de Gouverner dans l'Ombre : L'État Securisé d'Angola (African Arguments/Hurst, 2021). Elle a été conseillère sur l'Afrique subsaharienne pour l'Initiative de Gestion de Crise, analyste senior sur l'Afrique australe avec le Groupe International de Crise et chercheuse senior avec l'Institut d'Études de Sécurité.


Tendai Biti

Tendai Biti

Ancien ministre des Finances du Zimbabwe

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Tendai Biti est le vice-président du Mouvement pour le Changement Démocratique (MDC), le principal parti d'opposition du Zimbabwe et ancien ministre des Finances.

Il a récemment co-écrit le livre La Démocratie Fonctionne, avec Son Excellence Olusegun Obasanjo, Dr Greg Mills et Jeffrey Herbst. La Démocratie Fonctionne est la suite du best-seller de la Fondation Brenthurst Faire Fonctionner l'Afrique. Il est basé sur plus de 300 entretiens à travers l'Afrique, l'Asie, les Amériques et l'Europe avec des décideurs, des politiciens et des analystes, et explore comment nous pouvons apprendre à cultiver et approfondir la démocratie en Afrique pour garantir la croissance économique et la stabilité politique. Ils sont actuellement en train de lancer le livre à Washington DC.


Avec des remerciements particuliers à tous nos collaborateurs supplémentaires de "Exemples de pays": Alex Vines, Bradford Machila, Felix Nkongho, Geordin Hill-Lewis, John Githongo, Marcus Pena, Marie-Noelle Nwokolo, Pape Samba Kane, et Sherif Ismail.